jeudi 29 novembre 2007

Triumvirat

Il y a trois hommes dans ma vie de musicienne, trois compositeurs qui me séduisent depuis des années, trois artistes complets qui m'inspirent: Mozart, Schumann et Debussy. Bien sûr, je les ai trompés à l'occasion avec d'autres, au fil des ans, des oeuvres, des états d'âme. Comme tous les pianistes, j'ai eu mon béguin Chopin, très adolescent. J'ai fini par m'en lasser, l'ai délaissé puis y suis revenue, par choix, par conviction. Plus récemment, il y a eu Beethoven, surtout ses sonates. Je l'avais tant boudée quand j'étais plus jeune, par dépit, par envie, peut-être. Assez récemment, j'ai accepté d'entendre ce qu'il avait à me confier, mieux, de l'écouter, de le faire mien. Il y a eu Bach aussi, un autre amoureux éternel d'une certaine façon qui m'édifie à chaque fois que je le joue, qui réussit à tout me faire oublier, par peur de déraper, de rater un joyau. Je l'apprécie énormément mais lui et moi, ce n'est pas fusionnel. Il y a eu Satie aussi, qui me fait rire aux éclats à tout propos, que j'adore croiser au détour d'une phrase elliptique inscrite au coeur d'une partition, dont la fluidité m'enchante, toujours un peu à côté de la plaque. Il y a eu Stravinski aussi mais, ça, ça ne compte pas vraiment, je l'apprécie en auditrice, pas en interprète (je n'ai encore jamais osé me frotter à la version piano de Petrouchka).

Mais je reste profondément attachée à mes trois amours. J'ai déjà expliqué ici ma connivence avec Mozart, dès la première semaine de ce blogue. Si Mozart m’a d’abord été révélé par sa vie (que j'écoutais avec ferveur grâce à mon disque de la collection Le petit ménestrel), j’ai plongé dans la musique de Schumann tête première, bien avant de connaître Eusebius, Florestan, Raro, les Compagnons de David, les Philistins, Clara. L’Album pour la jeunesse a succédé, dès ma deuxième année d’apprentissage, à ma méthode de débutants. Je n’ai qu’à prendre ma partition pour me replonger plusieurs années en arrière. La couverture, où trône encore mon nom écrit en lettres enfantines, est en deux sections rapiécées; les pages sont jaunies. Sur certaines se retrouvent des doigtés. Dès qu’une des pièces était terminée, une autre était aussitôt amorcée. Plus tard dans mon apprentissage, j’ai découvert la Romance en fa dièse majeur (fallait-il que je trouve l’œuvre belle pour me persuader de jouer une œuvre avec six dièses à la clé et toutes ces altérations accidentelles!) puis de nombreuses Novelettes. À 17 ans, ce sera la révélation du Quintette avec piano alors que, lors d’un séjour de trois semaines en camp musical, je fais de la lecture à vue avec un quatuor à cordes. Ce sera un coup de foudre irrévocable, une de ces œuvres qui marque une vie et qui, chaque fois que je l’entends, continue de m’interpeller comme si c’était la première (mon rêve reste de l’interpréter au concert, ne serait-ce qu’une fois…). Il ne faut pas non plus oublier les Dichterliebe (L’amour du poète), un sommet inatteignable, le Carnaval, que j’ai interprété lors de mon récital de fin de maîtrise, et les Papillons.

J'ai réalisé ce soir que, au fond, ces trois êtres m'interpellent profondément peut-être en grande partie parce qu'ils ont tous trois dansé une valse-hésitation entre musique et écriture. Mozart a signé plus de 1000 lettres, parfois ludiques, parfois déchirantes. On y retrouve des critiques musicales absolument cinglantes (on peut imaginer qu'il n'avait que peu de respect pour les petites musiques et les musiciens qui les produisaient), d'autres qui témoignent de son enthousiasme. Schumann possède une grande maîtrise non seulement du langage musical mais aussi littéraire. Ses articles dans la Neue Zeitschrift für Musik sont des pièces d’anthologie, d’une grande finesse, que la journaliste en moi ne peut qu’admirer. Ses hésitations, alors que jeune adulte, il oscille entre la musique et la littérature, me parlent aussi éloquemment que sa musique. « J’ai maudit le destin. Mais maintenant que je puis méditer sur tout cela, j’embrasse toutes choses dans leur ensemble et je reconnais clairement que le Destin a bien fait ce qu’il a fait. Je n’étais qu’une vague bouillonnante et je m’écriais : “Pourquoi faut-il justement que ce soit moi qui soit ainsi déchiré par la tempête?” Mais la tempête se calma et les flots retrouvèrent leur limpidité. Je vis alors que cette poussière qui recouvrait le sable lumineux avait été entraînée, et pourtant elle demeurait en suspens sur le sol lumineux. Des certitudes et des idées sur la vie prirent corps en moi; je vis alors que j’étais devenu plus clair pour moi. » (La Vie du chasseur, 1826) Debussy a signé sous le pseudonyme de Monsieur Croche des textes particulièrement incisifs mais qui démontrent néanmoins sa profonde compréhension du médium. Lui qui avait souhaité être peintre et avait tâté un peu de la poésie ne pouvait que se sentir interpellé par l'impressionnisme et le surréalisme, ces mouvements qui rêvaient d’une fusion des arts. Il désirait abolir les barrières du langage pour en faire ressortir les correspondances. « Mais, sapristi, la musique, c’est du rêve dont on écarte les voiles! Ce n’est même pas l’expression du sentiment, c’est le sentiment lui-même », s’insurgeait-il d’ailleurs dans une lettre datée du 9 septembre 1892. Union des arts, des genres, des publics, des époques... Pas si surprenant qu'ils continuent de combler mon petit côté idéaliste...

Pour vous laisser en musique, le premier mouvement du Quintette de Schumann:

lundi 26 novembre 2007

E.S.T.

Une entrevue avec le Esbjörn Svensson Trio chez Evene.fr ce matin. Décidément, maintenant que les connais et les admire, ils sont partout. Goldwrap se retrouvait même dans les vidéos MSN! Ils attendaient sans doute que je les découvre. (Hum!) À lire ici...

dimanche 25 novembre 2007

Se résoudre aux adieux

Je l'avoue d'emblée, j'aime beaucoup les romans épistolaires. Je sais, c'est à contre-courant de la réalité SMS, du tchat et des expressions calquées de l'anglais. J'aime le côté rétro de la lettre (fut-elle courrier électronique songé, sur lequel on s'est penché pendant de longues minutes), j'aime la façon dont on y réfléchit tout haut, tout en ouvrant la porte, de temps en temps, à une possible intervention de l'ami, du lecteur... Enfant, j'entretenais déjà des relations épistolaires et le facteur était mon héros, celui que je vénérais. (J'ai sérieusement songé devenir factrice mais, éventuellement, je me suis bien rendue compte que, malheureusement, le facteur apportait plus souvent des factures que des lettres d'amour.)
Bien sûr, ici, nous n'avons qu'un seul côté de l'histoire, celui de Louise, qui essaie de panser sa peine d'amour et qui cherche à se perdre, dans l'espoir de se retrouver, à La Havane, Venise, dans l'Orient-Express... Elle envoie des bouteilles à la mer, avec l'espoir futile qu'il les lira. On On n’écrit jamais pour les autres, jamais. On n’écrit que pour soi. On prétend dialoguer mais tout n’est que soliloque. Elle finira par se concentrer sur le geste, sur le discours, sur elle-même, dessinant peu à peu l'histoire d'un amour condamné dès le départ, à petites touches, le plus souvent tendres mais quelquefois mordantes. L'écriture de Philippe Besson (auteur que je lisais ici pour la première fois) est fluide, lyrique, terriblement féminine même. On entre entièrement dans l'univers de Louise, on se fond en elle, on vit à travers elle et son périple intérieur, de sa lente guérison, le temps de quelques heures suspendues. Il ne mesure pas exactement l'ampleur des dégâts que tu as causés mais il la devine assurément lorsque, posant ses doigts sur ma peau, il épouse le creux de mes plaies. Ses caresses m'aident à les soigner, ces plaies, enfin.
En remettant le livre à la bibliothèque aujourd'hui, je n'ai pas pu résister: j'ai emprunté un livre de lettres d'amour d'écrivains, histoire de prolonger l'incursion dans cet univers légèrement suranné.

On peut lire ici un extrait du livre.
Les avis du journal Marianne et d'In cold blog

samedi 24 novembre 2007

Le Sacre du printemps et Béjart

On se souvient toujours de la première fois... Si cette phrase fait généralement référence au premier baiser, elle peut sans nul doute s'appliquer à l'écoute du Sacre du printemps d'Igor Stravinski. Certains l'auront peut-être apprivoisé très tôt, étendus sur le tapis du salon, trame sonore soutenant le récit de la fin de l'ère de dinosaures dans Fantasia. Monde perdu en ébullition, vision de la naissance et de la déchéance d'une époque qui a de tout temps marqué l'imaginaire enfantin, Walt Disney y a su admirablement utiliser l'œuvre de Stravinski. (Mes enfants l'ont connu de cette façon et peuvent en reconnaître des extraits de quelques secondes sans problème.) Certains ont peut-être vu la chorégraphie déstabilisante de Marie Chouinard (son Sacre est devenu un classique de la danse québécoise). Moi, je l'ai découvert dans la version de Maurice Béjart au début des années 1970, fort probablement dans la version du film que l'on retrouve ici. Quand j'ai appris la nouvelle de la mort de Béjart, il y a quelques jours, j'ai immédiatement eu des images du Sacre en tête.

Les images tribales fortes, la musique extrêmement rythmée et aux dissonances marquées, le sujet païen du livret m'avaient particulièrement déstabilisée (j'étais très jeune encore). Pour dire vrai, ils étonnent encore, près d'un siècle après la création du ballet. (Il y a quelques années, j'ai vu des abonnés de longue date de l'OSM quitter la salle à l'entracte, sans doute encore effrayés par la modernité de l'oeuvre. Ils ont raté une interprétation magistrale de Rafaël Frubeck de Burgos qui a détaillé l'oeuvre de façon magnifique, me révélant des strates que je n'y avais jamais décelées, même après des dizaines d'écoute.) Pourtant, une fois qu'on l'a entendu une première fois, on n'a de cesse que de renouveler l'expérience, d'y plonger plus profondément , de s'approprier cette oeuvre phare du répertoire symphonique du XXe siècle. L'OSM le présentera, le 6 décembre, lors de son concert-bénéfice, sous la direction de son ex-directeur musical, Zubin Mehta. Inutile de préciser que j'ai déjà mes billets (et que j'ai insisté pour en écrire les notes de programme)!

jeudi 22 novembre 2007

La caverne d'Ali-Baba

Deuxième visite au Centre de musique canadienne de la semaine ce matin, cette fois pour ramasser les partitions promises aux lauréats de la journée de récitals de la semaine de la musique canadienne. Après discussion avec Mireille Gagné, directrice régionale du Québec et après avoir feuilleté quelques partitions de divers niveaux, sous l'oeil attentif de Louis-Noël Fontaine, nous avons fait un choix de partitions d'après les niveaux des élèves à récompenser, que j'avais regroupés grosso modo en débutant (préparatoire à 3e année), intermédiaire (4e à 6e) et avancé (7e et plus). L'après-midi même de mon passage, Mme Gagné me rappelait pour m'annoncer que les partitions étaient prêtes et qu'elle avait choisi de récompenser les 30 élèves méritoires. Quelle générosité!
Ce matin, retour dans la caverne d'Ali-baba (fascinant, tout ce qu'on trouve sur les murs et dans l'ordinateur de recherche!), avec une excitation qui ressemblait fort à celle que l'on ressent à quelques secondes de déballer un cadeau de Noël quand on est enfant. Comme je suis grande maintenant (hum!), j'ai réussi à attendre d'arriver à la maison avant de découvrir quelles partitions avaient été glissées dans la hotte de la Mère Musique canadienne. Évidemment, une fois arrivée, j'étais incapable d'attendre une seconde de plus et je me suis jetée sur le piano pour déchiffrer celles que je ne connaissais pas encore.
Les plus petits pourront jouer avec bonheur Les soirées du vendredi de Raynald Arsenault, une série de sept courtes pièces très descriptives (grâce aux miracles de la technologie, on a pu extraire huit copies papier des entrailles de l'ordinateur central en un tour de main!). Les intermédiaires auront à se mettre sous les doigts Évocations, six pièces qui relatent le périple de la route de Compostelle de la compositrice Nicole Rodrigue ainsi que Babillage de la même auteure (très humoristique, bien sûr) ainsi que de Petites Études et Trois Pièces pour la légende dorée de Clermont Pépin et Bourrasque lunaire de Suzanne Hébert-Tremblay. Les plus avancés découvriront avec plaisir (souhaitons-le!) la Valse de l'asile de Walter Boudreau, les Trois Préludes de Rodolphe Mathieu, le Nocturne (Hommage à Gabriel Fauré) de Clermont Pépin, L'île et l'eau de Suzanne Hébert-Tremblay, La féline aux humeurs violacées de Michel Frigon, les Trois Préludes de Roger Matton (une découverte fort agréable pour ma part) ainsi que deux partitions d'Alain Payette, ses Deux petites ballades pour piano (dédiées à ses enfants) et, mon coup de coeur du lot, L'eau salée, une peinture d'atmosphères particulièrement réussie (que je me procurerai moi-même la prochaine fois que je remettrai les pieds dans la salle des trésors!). C'est presque comme Noël en novembre, surtout avec la neige qui semble vouloir s'installer!
Cet événement, malgré son vague côté opéra dramatique de série B (pensez Mephistopheles de Boïto dans la production de l'Opéra de Montréal d'il y a quelques années et essayez de ne pas rire), aura été finalement fort positif, parce qu'il m'a révélé, hors de tout doute, la richesse du répertoire canadien. Reste à le partager maintenant avec les élèves, les autres profs, les auditeurs, les curieux, les autres...
J'oubliais presque: bonne Sainte-Cécile!

mercredi 21 novembre 2007

« L'éducation est un processus de vie, et non une préparation à la vie. »

John Dewey, extrait du Credo pédagogique

mardi 20 novembre 2007

Semaine de la musique canadienne

Saviez-vous que cette semaine, d'un océan à l'autre (eh oui, from coast to coast), se déroule la semaine de la musique canadienne? L'événement annuel, qui se tient depuis 1960 (ce n'est pas rien!) souhaite faire connaître la musique canadienne au grand public, inciter les professeurs et les jeunes musiciens à s'approprier le répertoire canadien contemporain et, bien sûr, à encourager les compositeurs et les interprètes canadiens. On pouvait par exemple télécharger gratuitement sur le site canadien de l'association deux partitions originales (l'une pour piano, l'autre pour chant et piano).
Trois récitals ont eu lieu samedi dernier à Montréal et ont permis à tous ceux présents d'apprécier la vitalité de ce répertoire. Si plusieurs jeunes pianistes ont opté pour des valeurs sûres (lire, datant du début du XXe siècle plutôt qu'écrites hier matin), certains n'ont pas hésité à nous émouvoir par La valse de l'asile de Walter Boudreau (écrite pour la pièce de théâtre L'Asile de la pureté de Gaudreau, il y a quelques années à peine), une pièce particulièrement envoûtante, digne d'un Fellini ou même à créer des oeuvres de compositrices. On a ainsi pu découvrir de cette façon le talent de Mélina Claude (qui a écrit plusieurs pièces pour de jeunes élèves) et de Danielle Fournier dont on entendait pour la première fois semble-t-il Bleu indien, (une pièce que je me procurerai tout bientôt). Un juge des plus amicaux était à l'écoute et je tiens à le remercier ici publiquement. Sans Michel Fournier (oui, le même qui laisse à l'occasion des commentaires ici!), l'aventure aurait été beaucoup moins enrichissante pour les jeunes étudiants (le respect et l'émerveillement qui brillaient dans leur regard quand Michel leur a parlé à tous après les récitals étaient particulièrement éloquents) et l'organisatrice (oui, moi).
En tant que coordonnatrice de l'événement, je me suis heurtée à des remous plutôt houleux, qui me laisse un goût légèrement amer dans la bouche (je tiens à noter ici que tout ceci a été fait de façon purement bénévole). Je trouve dommage que certaines personnes choisissent de s'opposer au changement par principe plutôt que par conviction. Rassurez-vous, je ne me servirai pas ici de la place publique pour régler mes comptes (je ne pense pas, honnêtement, qu'ils se règleront), bien au contraire. J'attirerai seulement votre attention sur notre jeunesse vibrante qui, aujourd'hui comme hier, n'a pas changé tant que cela et est encore capable de nous éblouir, de nous séduire, de nous convaincre, de nous émouvoir, à travers une oeuvre musicale. Sainte-Cécile, la sainte patronne des musiciens, dont on célèbrera la fête le 22 novembre, peut être fière de la relève!

lundi 19 novembre 2007

Mozart en ligne(s)

En ce début de semaine, un petit film d'animation italien absolument délicieux, qui fait sourire et attendrit. Mozart est décidément, encore et toujours, une grande inspiration!

vendredi 16 novembre 2007

Semer le doute

Peut-on être artiste sans se laisser habiter par le doute? Il faut simplement éviter, pour rester relativement sain d'esprit, de ne pas se laisser ronger par lui. Parfois, on se sent suffisamment fort pour lui tirer la langue, parfois, on rougit de honte devant lui. Quand on travaille un instrument (à la limite, quand on joue avec les mots, mais c'est un peu différent, du moins pour moi), on est confronté constamment à ce doute. Comment dois-je phraser? Qu'est-ce que je veux transmettre? Où est la très fine ligne entre la personnalité du compositeur et la mienne? Combien de moi suis-je prête à révéler à travers les sons d'un autre? Mais qu'a-t-il vraiment voulu dire?

Il peut être relativement facile quand on s’y attarde de lire derrière des mots mais les musiciens souhaitent avant tout toucher l’autre, le public, son double, à travers cet autre langage, celui qui vient chercher si loin, qui traverse autant qu'il libère, qui transporte, qui soutient, qui permet de transmettre d'infinies subtilités que les mots sont incapables de rendre. En musique comme en amour, il faut savoir lâcher prise, ne pas avoir peur de se perdre. Même quand on s'égare, on finit toujours par s'y retrouver.

jeudi 15 novembre 2007

Les carnets de Douglas

Cet attrayant roman se lit comme une histoire d’amours multiples et démultipliées : amour improbable entre Douglas (Romain) et Elena, inconditionnel, presque fiévreux envers Rose, le bébé à naître, penchant ignoré de Léandre envers Elena, tendresse infinie de Léandre et Gabrielle envers la petite Rose, relation fusionnelle de Rose avec son arbre, de Douglas avec la nature, lien intime avec la musique.

Avec douceur et conviction à la fois, l’écriture d’une grande limpidité de Christine Eddie fait basculer le lecteur dans un univers presque onirique. La plume poétique de l’auteur cisèle les paysages, les fait surgir devant nous. Sa voix unique nous raconte, presque en pointillés, le destin extraordinaire de personnages atypiques mais auxquels on s’attache en un instant. Discrètement, ils se découvrent peu à peu, dévoilent leur richesse intérieure, nous touchent par la profondeur de la faille qui les traverse, nous confrontent à la petitesse du monde qui les entoure, à l’intolérance, à la suprématie du progrès technologique.

Christine Eddie jette un regard tendre sur cet univers en suspension et choisit de le traiter de façon presque voilée, comme pourraient le faire certains cinéastes, avec un filtre. Les courts chapitres sont d’ailleurs astucieusement regroupés à l’intérieur de sections à connotations cinématographiques : repérage, gros plan (et fondu au blanc), plan d’ensemble, fondus enchaînés, accéléré, musique, fin, générique. En gravant sur la pellicule les différents éléments qui composent sa fresque, elle laisse au lecteur la possibilité d’y inscrire son propre scénario, d’y jeter un éclairage subjectif, de colorer à sa façon les zones volontairement laissées en plan. Une voix unique, musicale, qui sait à merveille dépeindre la vie qui palpite sous la surface.

Pour lire les commentaires des autres collaborateurs au blogue La recrue du mois...

lundi 12 novembre 2007

Hommage à Hélène Grimaud

Trouvé, ce matin, sur un site poétique, une superbe lettre ouverte à Hélène Grimaud, toutes en nuances et en subtilité. Pour la lire, c'est ici...

dimanche 11 novembre 2007

Derrière les livres

Un billet fascinant de Danny Laferrière dans La Presse de ce matin, dans lequel il se penche sur l'écrivain derrière le livre, sur le processus d'écriture, sur la part de l'auteur qu'on peut découvrir entre les lignes.
Pour Whitman, l'écrivain se trouve derrière son livre, mais en lisant on le fait apparaître devant soi. Et quand il est là, on replace le livre dans la bibliothèque, on prépare le thé, et on revient s'asseoir calmement pour converser avec cet esprit qui a traversé parfois les siècles pour nous retrouver ici. Lire la suite de l'article...

samedi 10 novembre 2007

Les musiques de mes amis

Ça y est, vous vous dites que je manque franchement d'originalité dans mes choix de titres. Peut-être avez-vous un peu raison. Avec la proximité favorisée par la blogoboule, j'ai fait toutes sortes de découvertes, certaines littéraires (plusieurs blogueurs littéraires sont franchement compulsifs et je n'arrive pas à saisir comment ils peuvent lire un bouquin par jour!), d'autres de vie (certains écrits secouent profondément, quand on accepte de se laisser toucher), d'autres musicaux.
Étant malheureusement devenue un tantinet blasée musicalement au fil des ans, je n'avais pas été sujette à un vent d'enthousiasme de ce côté-là depuis bien longtemps. Quand on reçoit des disques à commenter pour le boulot, parfois non sollicités, on finit par ne penser qu'en termes d'interprétations (si je ne suis pas séduite après dix secondes, j'aurai de la difficulté à accrocher après), de comparaisons (que je trouve la plupart du temps assez vides du sens, j'aime mieux me concentrer sur le point de vue des interprètes, sur la transmission du message que d'étaler mes connaissances discographiques à tout vent), de prise de son (j'admets que, là-dessus, je ne suis pas très maniaque). Bref, on oublie le simple plaisir d'écouter de la musique, juste comme ça, juste parce que.

En visitant des sites d’amis blogueurs, j’ai fait récemment toutes sortes de découvertes. Sébastien, en fan d’une ferveur exceptionnelle, m’a ainsi fait découvrir Esjbörn Svensson Trio, un groupe de jazz suédois, surprenant, qui se considère lui-même comme un groupe de pop. Avec ses sonorités uniques qui allient jazz aux grooves drum & bass, à certains éléments de musique électronique, rythmiques funky ou emprunts au rock et à la pop mais également à la musique classique européenne, E.S.T. possède un son bien à lui. Grand expérimentateur, les mélodies et les harmonisations du pianiste sont loin d’être prévisibles. Ayant épuisé tout ce qui se trouvait sur Youtube (pas tant de titres que ça, malheureusement), j’étais prête à plonger et à me procurer un disque! Après avoir épluché les bacs des disquaires spécialisés de la rue Sainte-Catherine, j’ai pu constater que seuls deux des disques du groupe, le dernier (Tuesday Wonderland) et un vieux live (daté de 1995) étaient disponibles ici. J’aurais souhaité me procurer Seven Days of Falling, qui comprend la pièce du même titre, que j’avais laissé s’immiscer en moi tout doucement mais qui n'est disponible que difficilement sur Internet.

Deux jours après, je flanchais et mettais la main sur Tuesday Wonderland, qui comprend notamment l’excellent Goldwrap.

Mais mon histoire ne s’arrête pas ici. Tant qu’à fouler le sol du temple de la musique, sur trois étages, j’ai fait un tour au département de la pop, domaine que j’avais fortement négligé au cours des dernières années. En visitant le site de Luzur, j’avais succombé doucement au charme de la voix de Feist. Au début, j’ai un peu souri (l’auteur semblait autant séduit par la beauté et la plastique de la chanteuse que par ses chansons) puis je me suis mise à fredonner sans raison My moon, my man, particulièrement contagieux (et un vidéo particulièrement bien conçu). La semaine suivante, j’entendais Feist dans un café, quelques jours après l’un de mes élèves adultes m’en parlait! Je me suis dit que ce devait être un signe et je me suis donc procurée Reminder, le dernier album de la chanteuse originaire de la Nouvelle-Écosse mais qui a grandi dans l’Ouest canadien avant de se fixer à Toronto.
Sur le même site, j’avais découvert deux jours avant The Postal Service, un groupe de la scène indépendante de la côte Ouest américaine, et leur chanson Such great heights. En me promenant sur Youtube (vous allez commencer à croire que je ne bosse jamais!), j’ai découvert d’autres titres du groupe (dont un remake complètement déjanté de Against all odds). En jetant un coup d’œil aux liens, j’ai appris que Ben Folds avait fait un cover (superbe) de la chanson. Je me suis alors rappelée combien j’avais écouté Forever and ever amen de Ben Folds Five (ici le lancinant Brick) et ai constaté que mon engouement pour le piano et la voix de Folds était intacte. J’ai donc décidé de rattraper le temps perdu et ai acheté deux albums, Rocking in the Suburbs et Supersunnyspeedgraphic… Sur le premier, je vous recommande particulièrement Still fighting it, une touchante ballade écrite pour son fils (qu'on voit dans le vidéo), The luckiest et Learn to live with what you are, dont le vidéo est particulièrement craquant.

Je vous rassure tout de suite, il n’y aura pas de troisième segment à ces xxx de mes amis. Je n’ai aucune intention de dévoiler vos noirs desseins ou vos aspirations les plus lumineuses. À moins que je ne parle de vos recettes? Mais non, je blague… Allez, je vous laisse, j'ai des disques à écouter!

vendredi 9 novembre 2007

La musique klezmer

Univers fascinant que celui de la musique klezmer. J'ai dû me pencher sur le sujet pour la rédaction d'un document pédagogique et j'ai été séduite par ce que j'ai pu apprendre.

Tradition musicale des Juifs ashkénazes, la musique klezmer s’est développée à partir du XVe siècle. Ses origines plongeraient vraisemblablement dans la musique moyen-orientale et turque mais aussi dans celles des Slaves et des Tziganes. En raison de ses origines, la langue de prédilection de la chanson klezmer est le yiddish, un mélange d’hébreu, d’allemand, de polonais et de russe. La musique klezmer a survécu au fil des siècles grâce à sa volonté de sauvegarder son essence tout en acceptant de l’enrichir des cultures environnantes. Elle est devenue en quelque sorte la synthèse de plusieurs siècles d'interactions entres Juifs et non Juifs. (Dans cette ère d'accomodements déraisonnables, on ne peut que s'arrêter pour réfléchir un instant. J'invite d'ailleurs les Québécois de souche - et les autres - à signer une pétition contre l'intolérance ici. Parfois, ces jours-ci, j'ai presque honte d'être Québécoise de souche! Fin de la parenthèse politique.)
Jouer de la musique klezmer se rapproche étrangement de la narration d’une histoire. C’est pourquoi les thèmes repris dans les chansons klezmer font le plus souvent référence à la vie communautaire juive, au Shabbat et aux fêtes religieuses. On y évoque aussi les éléments de la vie quotidienne. La mère étant une figure emblématique dans la culture ashkénaze, on retrouve plusieurs airs qui lui sont dédiés (dont le plus connu reste Yiddishe Mamma). Certaines chansons traitent de sujets qui affectent la vie d’un village tout entier, que ce soit un incendie au shtetl (village) ou l’émigration vers les États-Unis (par exemple, la chanson Di Grine Kuzine). Cette émigration a d’ailleurs permis l’intégration d’éléments de jazz au langage musical klezmer traditionnel.
La musique klezmer étant à l’origine une musique de danse, surtout jouée dans les mariages, le tempo se modifiait en cours d’exécution pour s’adapter à la fatigue des danseurs (et des musiciens). Cette flexibilité du tempo est restée inscrite au cœur même de cette tradition musicale.
En tant que représentante de la tradition culturelle ashkénaze, la musique klezmer reprend plusieurs des éléments musicaux qui y sont associés. Les complaintes des clarinettes, si typiques du genre, se veulent une imitation du son du shofar, un instrument à vent sculpté dans une corne de bélier, ancêtre de la trompette, utilisé lors des offices de Rosh Hashana (nouvel an du calendrier hébraïque) et Yom Kippour (aussi appelé jour du grand pardon). Son aspect répétitif évoque quant à lui le chant du hazzan, le chantre de la synagogue.

Si vous souhaitez approfondir le sujet, je vous recommande le site suivant, extrêmement complet (en anglais). La meilleure chose à faire pour se l'approprier est bien sûr de l'écouter. Pour entendre le clarinettiste Giora Feidman, c'est ici ou . Le violoniste et chef d’orchestre Itzhak Perlman se joint à un groupe klezmer ici et l'ensemble Kleztory nous séduit parou sur leur Myspace.
Prochaine chronique musicale dans un tout autre registre, comme vous le verrez. Patience, patience...

lundi 5 novembre 2007

Jean-François Rivest

Pour ceux qui ont peut-être été intrigués par l'enthousiasme démontré lors de cette rencontre avec Jean-François Rivest, chef en résidence de l'OSM, professeur à l'Université de Montréal et surtout, véritable boule d'intensité, voici l'article que j'ai signé pour La Scena Musicale. Vous pouvez consulter le PDF de l'article ici (le texte débute à la page 12 mais sentez-vous libres de feuilleter le reste!).

dimanche 4 novembre 2007

Les livres de mes amis

Deux couvertures rouges, deux univers différents, mais deux conteurs, chacun à leur façon. Avant tout, deux livres qui sont plus proches de moi dans la chaîne de transmission que la plupart des livres que je retrouve habituellement en librairie, deux livres dédicacés. L'un m'a été offert par mon amie homonyme à la fin de l'été, l'autre par l'auteur lui-même. Dans le cas de Kaya de Robert Blake, l'auteur m'a contacté il y a quelques semaines par courriel, ayant eu vent de mon site (par cette amie commune sans doute), cherchant à savoir si j'avais lu son livre. Dans l'autre, Le mariage d'Anne d'Orval de Sébastien Fritsch, le livre est arrivé, livraison toute spéciale, dans les valises d'un couple d'amis de l'auteur, vendredi dernier. Autre lien qui les rapproche, ces deux livres font plonger dans des univers que je ne fréquente habituellement pas: le conte philosophique (même si j'admets avoir eu ma passe Paulo Coelho) et le roman historique (enfin, pas vraiment, vous allez comprendre pourquoi dans quelques lignes).
Kaya est le deuxième conte de Blake, qui avait signé un charmant Voyage il y a quelques années. Mon amie me l'avait prêté et je l'avais dévoré en une soirée, comme ce fut le cas avec Kaya. Dans Le Voyage, les redites m'avaient un peu lassées, je l'admets ici. Chaque chapître, chaque nouvelle petite histoire, étaient introduits de la même manière, en escalade si l'on veut, une technique qui fonctionne particulièrement bien quand on raconte une histoire de vive voix mais qui me semblaient moins convaincante à l'écrit. Dans Kaya, plusieurs de ces redites, de ces clins d'oeil de l'auteur/conteur, ont été gommés et, de ce fait, la lecture en est devenue beaucoup plus aisée. M. Jacquot (personnage du premier livre) passe du rôle de passeur à celui d'acteur, suite au défi de Mister Charles, qui lui parle de l'île imaginaire de Coll, cette île qui vient à nous. Il y rencontre un attachant lutin, Larin, qui n'a pas la langue dans sa poche et plus d'une histoire millénaire dans sa besace: celle du Semeur d'étoiles, du Roi Aramos, des frères jumeaux devenus ennemis Atimore et Ackmore. En deuxième partie de livre, M. Jacquot doit compléter l'histoire de Kaya, qui dormait dans ses cartons depuis trop longtemps. Le style de l'auteur devient alors beaucoup plus fluide (les dialogues de commentaires disparaissent presque entièrement) et j'ai alors plongé, comme une enfant, dans l'univers magique. La langue coulait, les images affluaient, je me retrouvais, assise en indien, à écouter une jolie histoire au coin du feu (et, hum, si on se fie à la photo du quatrième de couverture, j'aimerais bien me faire raconter une histoire par ce charmant monsieur... fermons vite la parenthèse!). Marchant le dos bien droit, la main gauche sur la tête de mon épée, je vis la plus belle des clairières au milieu d'une île, le ciel et les étoiles dans la peau d'une femme. J'eus peine à la regarder tellement mes yeux étaient éblouis par la lumière qui l'enveloppait. Mon coeur battait si fort que les boutons de ma veste eurent envie d'éclater. Si vous avez aimé L'alchimiste, vous apprécierez ce livre...
Reculons maintenant 800 ans en arrière pour aborder l'univers du Mariage d'Anne d'Orval. Je l'avoue d'emblée ici, j'ai voulu lire le livre parce que j'ai appris à connaître, à apprécier l'auteur à travers son blogue. Depuis, il y a eu des messages plus personnels échangés, hors blogosphère et maintenant, j'apprivoise l'humain derrière l'auteur. Alors, évidemment, j'ai plongé dans le livre avec un enthousiasme prudent. En effet, comment réagir si j'avais détesté l'univers du roman? Quand j'ai eu le livre en main vendredi dernier, je me suis sentie comme une gamine. J'étais à peine rendue à la voiture que j'avais décacheté l'enveloppe, avais jeté un coup d'oeil au quatrième de couverture (histoire de mettre un visage sur les mots) avant de lire avec ravissement la dédicace. Quand même, ce n'est pas rien, je suis la première lectrice québécoise de l'auteur! Un privilège, tout de même (le livre sera apparemment distribué ici en 2008, à suivre...). Malgré la dizaine de livres qui attendent sur ma PAL (pile à lire), le soir même, j'y plongeais, avalant trois chapîtres d'un coup, avec un plaisir presque coupable. Moi qui n'ai lu aucun des Jeanne Bourin, ai adoré Les rois maudits à la télé mais n'ai jamais pensé une seconde à lire la somme de livres qui a inspiré la série, n'ai lu qu'un Umberto Eco (même pas Le nom de la rose, que j'ai vu en film, cependant, avec plaisir), j'étais un peu réticente à plonger dans l'univers médiéval et ses histoires de preux chevaliers et de donzelles au teint pâle. Si les premiers chapîtres du livre sont effectivement dédiés à la peinture d'époque, la galerie de personnages, plutôt atypique, m'a immédiatement séduite. Ils échangèrent tout d'abord sur les différences de leurs pays respectifs. Clément fit du sien un tableau des plus simples, mais qui suffit à Anne pour se sentir déjà partie à ses côtés. La voix qu'elle écoutait avait le goût du sel éparpillé aux vents, la tendresse du sable, sa blancheur froide. Elle s'animait ensuite de la puissance des flots. Elle dessinait les gestes maternels que l'onde lance sur les lointains secrets des profondeurs. Elle invitait à embrasser, parmi les rochers noirs, les échos des derniers cris des pêcheurs noyés. J'aurais voulu être Anne d'Orval, celle que tous vénéraient au premier regard, j'en étais presque jalouse. Et puis, tout à coup, l'histoire se bouscule, nous fait basculer dans un tout autre univers. On commence à douter de ce qu'on a lu, on cherche des indices, on entre volontairement dans un immense jeu de piste. Plus important, peut-être: Anne d'Orval devient une femme de chair et de sang et non plus une icône. Les péripéties se multiplient, on tourne les pages de façon quasi compulsive; je me croyais par moments dans une superproduction américaine. Doucement, la violence, le code de vie strict, les saccages typiquement masculins sont balayés par le feu, la passion, les déchirements, les renoncements, des choix habituellement beaucoup plus féminins. J'ai aimé le ton, aussi, presque suranné, comme si je me faisais raconter l'histoire par la vieille femme (la narratrice), dans un château mal chauffé, faisant semblant d'être absorbée par mon ouvrage de broderie (on peut toujours rêver) mais étant toute ouïe, les sens grands ouverts.
Deux fables, deux univers... toujours la même vie qui bat, à travers les siècles.