mercredi 31 décembre 2008

Bilan sorties 2008

En prolongement de mon bilan lectures d'hier, voici celui dédié aux autres formes artistiques qui m'ont secouée, émue, transformée, cette année.

Expositions

À des niveaux différents, deux expositions montréalaises m'ont séduite. La première, consacrée à Cuba au Musée des beaux-arts m'a permis de découvrir un univers pictural (et même conceptuel, quand on considère les œuvres plus récentes) tout à fait inusité, entre stylisme européen et effervescence et explosion de couleurs des Caraïbes. Elle m'a aussi permis de réaliser combien la condition d'artiste peut être précaire, quand elle n'est pas soutenue par des instances gouvernementales, des mécènes, des amateurs, combien le choix de créer peut être difficile mais néanmoins exaltant.

Je ne peux pas non plus passer sous silence l'exposition Prenez soin de vous de Sophie Calle, présentée par la fondation DHC/ART, qui m'a rejointe à plus d'un niveau, en me permettant de plonger de plain-pied dans l'univers de Sophie Calle, de revisiter la notion que l'on peut entretenir de manifestation artistique, d'être intimement touchée par ses multiples déclinaisons, émotions qui allaient de la douleur au rire le plus franc. J'en avais parlé ici...

Hors catégorie, car vue à Philadelphie lors de mon périple d'exploration culturelle avec des ados, l'exposition consacrée aux oeuvres et à l'univers de Frida Kahlo, intime, magnifique, rare.

Théâtre

Je ne fréquente que très peu les salles de cinéma mais adore l'univers du théâtre. J'aime la fragilité du médium, sa force, la façon dont les mots se transmettent, se transforment en émotion brute les grands soirs, se prolongent dans notre conscient et parfois notre inconscient, des jours ou même des mois après.

Je retiendrai, pour la puissance du texte de Timothy Findley, auteur canadien que j'adore, la dextérité du jeu de Marie-Thérèse Fortin mais aussi la subtilité de celui de Jean-François Casabonne, Elizabeth, roi d'Angleterre, présenté au TNM.

J'ai aussi apprécié la ludicité et la mise en scène éclatée de la production double La cantatrice chauve / La leçon présentée au Centre Pierre-Péladeau par la NCT, en année de rénovation.

Et, bien sûr, je ne peux pas passer sous silence Bob de René-Daniel Dubois (qui signait d'ailleurs la traduction d'Elizabeth) et dont le texte continuera de m'habiter encore longtemps, à des niveaux différents, je pense.

Musique classique

Même si, au fil des ans, je suis devenue un peu blasée, j'ai quand même engrangé quelques souvenirs mémorables cette année: la Sonate de Liszt de David Fray en octobre, l'événement exceptionnel qu'était la présentation de l'opéra Saint François d'Assise de Messiaen (et ce, même si j'ai trouvé le « Prêche aux oiseaux » interminable) par l'OSM en décembre, mais surtout le Troisième Concerto de Beethoven joué par Alfred Brendel avec un OSM aux couleurs somptueuses, lors de son dernier passage montréalais à vie en février dernier.

Autres musiques

Juin 2008 restera éternellement teinté pour moi de l'annonce du départ brutal d'Esbjörn Svennson, âme du trio du même nom, mort noyé dans un accident de plongée. Mes billets inutilisés pour son spectacle non donné au Festival de jazz, un dernier opus devenu testament (Leucocyte), l'émotion est encore vive pour moi, six mois après.

Autre grand coup de coeur, la découverte de l'univers musical du pianiste et compositeur norvégien Ketil Björnstad, rencontré par hasard (mais existe-t-il un hasard?) dans un poste d'écoute de disquaire. Depuis cet achat de Devotions, j'ai écumé ce qui se trouvait en streaming sur Internet, me suis procuré Life in Leipzig (que j'apprivoise encore) et une amie m'a offert pour Noël Epigrahs, un disque envoûtant réalisé avec David Darling. Je n'ai pas fini de faire le tour de l'artiste...

mardi 30 décembre 2008

Bilan lectures 2008

Je viens de passer un certain temps à démêler ma liste de lectures 2008 et à faire des liens vers tous les commentaires avant d'archiver le tout (le tout sera en ligne le 2 janvier). Je suis confuse d'avouer que tout n'était pas parfaitement réglementaire de ce côté, hum... Peut-être que je devrais prendre comme résolution 2009 de mieux suivre mes deux listes de lecture? (Ça n'implique pas de grand changement dramatique, juste un regard plus attentif.) Tout de même, cela m'a permis de faire un bon survol de l'année et de retrouver certains titres avec plaisir. Après tout, douze mois de lecture, c'est long...

Alors, un peu pêle-mêle, quelques incontournables...

Catégorie littérature québécoise
Je fais mentir les statistiques avec délectation, puisque je connais de mieux en mieux la littérature d'ici, en partie grâce à La Recrue du mois et ses premiers romans mais aussi parce que, admettons-le, ce qui s'écrit au Québec n'a rien à envier à ce qui est produit chez nos cousins français. Alors, un top 3?
  1. L'art de la fugue de Guillaume Corbeil: une réelle découverte pour moi. Un ton, une écriture, une façon de manipuler/détourner le langage que j'ai beaucoup appréciée.
  2. Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis: certainement mon auteur chouchou de cette dernière partie d'année, avec la lecture de trois de ses cinq titres. Un univers sombre certes mais une plume inspirée, acérée, qui habite longtemps.
  3. Vandal love de D. Y. Béchard: pour le souffle, la folie de la narration, le travail sur la forme, l'achèvement du récit (premier roman, spécifions-le).
Rencontre avec un auteur québécois, comme dans « en personne », « live »...
Pour la complicité, ex-aequo: Neil Smith et Nicolas Gilbert, parce que, à des niveaux différents, leurs parcours rejoignent le mien. Et je reste encore émue de la séance de signature avec Catherine Mavrikakis.

Littérature canadienne (comme dans, oui, ROC, le Rest of Canada)
un incontestable: Les romantiques de Barbara Gowdy et un incontournable: Logogryphe de Thomas Wharton

Littérature européenne
Oui, je sais, les puristes s'insurgeront. Certains de ces titres ont été écrits en français, d'autres pas. Peu importe. Mes coups de coeur toutes catégories confondues sont (roulements de tambour):
  1. La petite fille silencieuse de Peter Hoeg: pour la force de la narration, le sous-texte musical, le style extrêmement touffu. Le seul titre qui m'a fait franchir la barre psychologique des 4 étoiles en 2008.
  2. La véritable histoire de mon père de Nicolas Cauchy: un premier roman coup de poing, diablement bien mené, qui nous laisse bouche bée, entre violence brute et tendresse
  3. Malavita encore de Tonino Benacquista: encore meilleur que Malavita selon moi, une lecture foisonnante et véritablement jouissive. J'admets ici que j'ai tout lu de l'auteur, ce qui me rend peut-être un peu moins objective mais, bon...
  4. Cette histoire-là d'Alessandro Baricco: pour la façon magistrale dont Baricco a tissé ses histoires l'une dans l'autre, qu'elles croisent l'Histoire, la musicalité du texte, encore et toujours.
Littérature des Amériques
L'histoire de l'amour de Nicole Krauss pour son propos, la forme narrative adoptée, la tendresse qui se dégage des pages mais qui évite toujours les évidences, pour le souffle et surtout pour les personnages.

Des attentes pour 2009? Faire diminuer ma PAL? Je sais, c'est irréaliste... Elle fluctue, comme la météo... Peut-être un seul livre alors, le prochain Paul Auster, auteur fétiche s'il en reste un, pour me faire oublier Dans le scriptorium... Sinon, j'aime mieux rester ouverte aux découvertes!

lundi 29 décembre 2008

Les adolescents troglodytes


De retour dans mon modeste home, après quelques jours passés dans l'effervescence. Trop de bruit, de cris, mais heureusement, quelques instants volés, ici et là, pour lire. Dans mon sac à livres très mince (je me doutais bien que le niveau de concentration ne pourrait être maximal), j'avais glissé deux livres aux couvertures blanches, comme la neige qui est malheureusement presque entièrement disparue: Le récital de Nicolas Gilbert, notre recrue de janvier (dont je vous reparlerai bientôt) mais aussi, Les adolescents troglodytes d'Emmanuelle Pagano, un cadeau de Seb qui l'avait adoré et en avait parlé avec infiniment de poésie ici, qui attendait patiemment dans ma PAL depuis juin.

Dès les premières pages, j'ai été happée par cet univers à la fois sombre et lumineux, désertique et profondément habité, non pas uniquement par ces habitants du plateau ardéchois mais surtout de l'intérieur, grâce au ton de la narratrice, entre confidence et poème en prose. « Je m'arrête là, parce que j'ai besoin du lac et de l'ombre pour me souvenir, pleurnicher sur ma mémoire comme une vieille. La mémoire, il faut la laver et la remplir tous les jours. » (p. 17) Ces adolescents troglodytes (i.e. qui séjournent dans des excavations naturelles ou artificielles), on s'y attache, mieux, on les comprend, les ressent instantanément. En questionnement, en mutation, en marge de leur corps, ils nous rappellent ceux que nous avons été à une autre époque, ceux qui se nichent au cœur de nous encore aujourd'hui. Ils nous rappellent aussi la solitude à laquelle nous devons tous faire face, l'intolérance, la sainte manie d'apposer des étiquettes à tout ce qui nous est plus ou moins étranger.

Celle qui nous raconte leur quotidien, c'est Adèle, chauffeure du car scolaire qui les mène, par monts, par vaux, par vent, par tempête, à l'école, au lycée, au collège. Adèle, elle aussi, éternelle adolescente, en mue. Au fil des pages, on comprend que les liens qui l'unissent à son propre corps ont d'abord été troubles, douloureux, avant d'être acceptés, assumés. Elle, avant, était lui, incapable de faire face aux muscles qui se mettent à saillir, à cette absence de poitrine, à ces jeux rudes qu'elle ne comprend pas.

Avec une délicatesse exemplaire, jamais complaisante, à petites touches, Emmanuelle Pagano nous raconte la façon dont Adèle s'est affranchie des limites du corps qui lui avait été dévolu par erreur. Elle bascule du masculin au féminin, selon qu'est narré un épisode récent ou de ce passé impossible à nier, avec dextérité, avec tendresse. Jamais elle ne tombe dans le voyeurisme et pourtant, elle ne cache rien, des hésitations, de la douleur, des élancements, des joies,
de la tendresse qu'Adèle éprouve pour ses « petits » qu'elle suit avec attention tous les jours, mais aussi des coups dans le bas-ventre quand on est balayé par la vague de l'amour. « Je ne me rappelle pas ce que je lui ai répondu à côté samedi, mais je sais que mes mots sont tombés par terre, et que ça l'a fait rire. Il était beau dans son rire et son gilet. » (p. 111) À travers cette métamorphose, presque métaphore, elle évoque ce qu'être femme englobe comme contradictions. « J'ai su dans la douleur que ne pas avoir d'enfant, c'est ça, être une femme. Ce n'est pas avoir un enfant. Être mère c'est perdre un enfant, porter ce caveau où s'accrocheront les frères et sœurs. J'ai eu mal là, avec un savoir cru, violent, j'ai eu mal à cette alvéole mortuaire, celle de ma mère, celle d'où je viens. » (p. 139)

« Le jour est bleu à s'ouvrir les plis du ciel. Il fait si beau et si froid que l'air se gerce par endroits, nous paraît impénétrable. Il va bien falloir passer dedans, pourtant. » (p. 166) Parfois, un livre nous attend, patiemment, jusqu'à ce qu'on soit prêt à le recevoir. Celui-ci est l'un de ceux-là. Merci Seb!

vendredi 26 décembre 2008

Entre deux bouchées...

Au milieu du tohubohu du temps des fêtes (et parce que je repousse le moment de faire une vaisselle monstrueuse ce matin), un petit coucou, quelque peu décousu...

Certains curieux voudront peut-être savoir si j'ai reçu des livres pour Noël... Toute une pression quand on doit offrir un livre à quelqu'un qui lit beaucoup. Enfin, c'est ce que mon mari m'a laissé sous-entendre, impressionné qu'il est sans doute par ma PAL, les livres que je lis dans le cadre de La Recrue, mes visites à la bibliothèque, mes lectures musicologiques... Alors, j'ai magasiné mon propre cadeau cette année, enfin presque. J'ai acheté deux livres, le dernier Goncourt et le dernier Yasmina Khadra, les ai rapportés à la maison et lui ai dit d'en envelopper un et que l'autre serait donné à ma mère. (Je me doute bien qu'il y aura éventuellement retour du dit livre dans ma bibliothèque, ma mère habitant en appartement et refusant de s'encombrer de livres de façon permanente. Admirez la ruse ici. Pour la petite histoire, j'ai déballé Ce que le jour doit à la nuit de Khadra le 24.) Mais certains proches, des « littéraires », ont quand même osé me donner des livres, dont La beauté du geste de Catherine David, que j'ai très hâte de lire (un écrit qui analyse le rapport entre le piano et le taï-chi-chuan) ou La terre nous est étroite de Mahmoud Darwich, un livre de poésie qui me plongera dans un univers très lointain.

Alors, prêts pour une autre bouchée de tourtière? Euh, moi non plus... Mais si vous souhaitez prolonger Noël en musique, vous pouvez aussi m'entendre ici dans Sainte-Nuit et là dans un Premier Noël Satiesque ...

Si vous préférez Mozart...

Mozart Sonate K330 (Andante) - Lucie Renaud

mardi 23 décembre 2008

Joyeuses fêtes

Eh oui, Noël est presque là... Que vous souhaitez, qui compte vraiment? De la tendresse, de la lumière, des mots tendres, de la musique d'antan, des sourires francs...

J'ai pensé vous offrir, sans façon, enregistré avec les moyens du bord (un logiciel gratuit et le micro de mon portable) quelques mesures d'un autre âge, d'un autre univers. Je vous retrouve bientôt. À cliquer à gauche ou ici...

dimanche 21 décembre 2008

Écrire le réel


Parfois, je cède de façon impulsive à des livres que je croise en bibliothèque. Ce fut le cas du dernier ouvrage de Naïm Kattan, Écrire le réel, une collection d'essais qui prolonge sa réflexion amorcée en 1970 par Le réel et le théâtral. Le livre s'ouvre sur quelques pages littéraires (souvenirs, amorce de romans, bribes de nouvelles, tous ces qualificatifs à la fois?), déposées en marge, en partage, véritables bijoux d'écriture. Après quelques paragraphes à peine, je me semonçais de ne pas avoir lu avant cet auteur québécois, véritable légende vivante.

Dans les textes présentés ici, il aborde son périple d'écrivain arabe (juif de Bagdad), étudiant à Paris, devenu Montréalais entièrement assumé il y a déjà plus de cinq décennies. « Montréal ne sera pas une simple halte, un jalon sur une route, ni non plus un lieu fixe, mais un point de départ tout autant que d'arrivée, car tout mouvement implique un départ et un retour. » (p. 50) Il trace des parallèles fascinants entre l'Orient et l'Occident, entre les littératures, les esthétiques, les façons d'aborder la religion, de s'approprier le sacré, s'interroge au passage sur la place de la lecture, de la culture, de l'art dans notre société. « L’art est né en partie d’un besoin de comprendre en même temps que d’une recherche de cohérence. Il donne naissance à un environnement, pour ne pas parler d’une totalité où le sensible rejoint le raisonné et l’enchantement, la réflexion, ce qui ouvre la voie à l’individuel, au personnel, autrement dit à l’unique. Enlever à la personne sa capacité d’approcher le monde par le sensible, c’est lui bloquer le chemin du réel, l’accabler d’une incertitude dans la saisie de ce qui l’entoure, dans sa réflexion et sa recherche de sens. C’est, en d’autres termes, la priver de sa liberté. Or, celle-ci pourrait lui être assurée par un recours à l’image, mais à condition de préserver, de réhabiliter le pouvoir de la langue. » (p. 123)

Il présente, évoque, questionne, sans jamais tomber dans le piège du dogmatique. Il s'arrête, se pose, regarde en arrière mais sans jamais oublier de se tourner vers l'avenir. Il nous force à demeurer alerte, sensible, à accepter le mouvement. On ne peut que l'en remercier.

Une présentation de son oeuvre, alors qu'on lui remettait il y a quelques années Le Prix du Québec est à lire ici...

vendredi 19 décembre 2008

M. Ré-dièse et Mlle Mi-bémol

Noël arrive à grands pas et je suis très loin d'être dans un état d'esprit pour accueillir cette fête. J'ai donc décidé hier de faire un petit effort et de lire ce charmant conte de Jules Verne, paru jadis dans Le Figaro illustré de Noël 1893. J'avais craqué pour ce livre des Éditions de Saint Mont au marché de la poésie à Paris et leur édition des Lettres d'amour à George Sand de Musset (choix qui avait suscité tout un débat avec l'éditeur qui, harô sur moi!, avait cru un instant que j'étais sandiste quand je lui ai demandé s'il avait aussi publié les lettres de Sand à Musset!). Quand j'ai extirpé la plaquette de sa pochette protectrice en plastique, une bouffée un brin nostalgique de Paris s'est libérée, je l'admets volontiers.

La nouvelle de Verne est à des lieues de ses écrits célèbres mais possède un certain charme suranné à la fois pétillant et tendre. Pendant le récit, j'ai rêvé, comme le petit Ré-dièse à cet orgue improbable qui intègrerait un jeu de voix enfantines aux flûtes, bourdons et autres prestans. Je me suis dit que, en effet, peut-être bien que nous possédons tous « notre » note à nous, qu'il s'agit de la trouver et de l'accepter. J'ai refermé le livre avec le sourire, de la musique plein les oreilles...

On peut lire le conte en ligne, ici même...

jeudi 18 décembre 2008

Auf Wiedersehen , Herr Brendel


Dans quelques heures à peine, au mythique Musikverein de Vienne, Alfred Brendel tirera sa révérence, dans le « Jeune homme » de Mozart. Après une carrière éblouissante, la légende descend de son pied d'estale et retrouve son home anglais, ses masques africains, ses objets kitsch et, semble-t-il, l'écriture (c'est du moins ce qu'on peut lire sur son site officiel).

Je suis privilégiée de l'avoir entendu en concert à plus d'une reprise mais aussi, d'avoir pu l'interviewer en 2001. Cette entrevue restera certainement l'une des plus marquantes de ma vie, pour plusieures raisons. Tout d'abord, il était la première légende à qui je parlais et j'avais l'impression en composant le numéro d'une chambre d'hôtel d'Europe de téléphoner à Dieu, ou du moins à un dieu du piano. J'étais fébrile à plus d'un niveau: peur de rater le contact (pas toujours évident, l'entrevue téléphonique, pour susciter la confiance), peur de lui poser les mêmes questions entendues des milliers de fois, peur qu'il me glisse entre les doigts. Comme si ce n'était pas assez, ce jour-là, j'étais fiévreuse... littéralement. Pendant l'entrevue d'une vingtaine de minutes, je sentais la sueur perler à mon visage, les frissons me secouer et j'essayais désespérément de reprendre le dessus. Brendel lui-même n'était pas dans une grande forme, toussait un peu, semblait épuisé par ses concerts. Malgré tout, j'ai été séduite par sa générosité mais surtout par sa simplicité. Il n'avait aucunement l'impression d'avoir accompli quoi que ce soit de grand et m'avait glissé que n'importe qui pourrait faire de même en s'y appliquant! Je me souviens aussi qu'il avait été question de littérature, de ses collections, d'humour, de Mozart, de Beethoven, de musique contemporaine.

Quelques semaines plus tard, il avait donné un récital magistral, salle Claude-Champagne, auquel j'avais bien sûr assisté. Après le concert, je lui avais fait suivre une carte du Far Side de Gary Larson, dessins que nous apprécions tous les deux, le remerciant pour cette entrevue. Je n'avais pas beaucoup d'espoir de le voir se pointer à la réception, les conditions météo exécrables (il était arrivé à Montréal quelques heures à peine avant le concert, tempête de neige oblige) l'ayant certes épuisé. Il est tout de même venu, voûté, drainé, échangeant quelques poignées de main ici et là. J'ai fini par oser l'aborder, mon numéro de La Scena Musicale sous le bras, espérant qu'il accepte de le signer. Il a rapidement réalisé que j'étais celle qui lui avait fait parvenir cette carte quelques minutes auparavant et a tenu à m'en remercier. «Thank you so much, you really made my day! » Encore sous le choc du concert, j'en avais été soufflée. Il a ensuite accepté mon crayon et a signé, « Cordially, Alfred Brendel ». Plus de sept ans après, je m'en souviens encore avec une précision étonnante. On peut lire cet article ici...

Je l'ai réentendu deux autres fois en récital et j'ai toujours été éblouie par la façon dont il détaille chaque phrase, la cisèle, ne la transmet que si elle est parfaite. J'étais bien sûr dans la salle, en février dernier, lors de son ultime passage montréalais, dans le Troisième de Beethoven. Une grande leçon de musique parce que, pour une rare fois peut-être, il s'est laissé aller et nous a laissé voir, sentir, l'homme derrière l'immense pianiste. J'en avais parlé là...

Alors, oui, bien sûr, aujourd'hui, j'écouterai Mozart et Brendel... comme si j'y étais ou presque. Thank you, Mr. Brendel, for the inspiration!

mercredi 17 décembre 2008

Alain Lefèvre chez Charlie Rose

Le superbe intervieweur américain Charlie Rose a reçu les plus grands de ce monde dans son studio. De temps en temps mais si rarement, un Canadien est invité: Pierre Elliot Trudeau, Margaret Atwood, Denys Arcand, Dov Charney (M. American Apparel). Il y a quelques jours, il accueillait le pianiste Alain Lefèvre, qui a partagé sa fièvre pour Mathieu mais a aussi évoqué Rachmaninov, sa vie professionnelle, ses convictions tranchées sur la nécessité pour la jeune génération d'avoir accès aux arts. On peut entendre l'interview ici...
En fouillant dans les archives fabuleusement garnies, vous y ferez aussi sans aucun doute des découvertes saisissantes.

mardi 16 décembre 2008

Faire des liens


Alors, dites-moi: qu'ont en commun les compositeurs Ludwig van Beethoven et Zoltan Kodaly, le pianiste Menahem Pressler, les clavecinistes Kenneth Gilbert et Trevor Pinnock, la romancière Jane Austen, Arthur C. Clarke (vous savez, 2001, l'odyssée de l'espace?), l'anthropologue Margaret Mead, l'actrice Liv Ullmann et le sprinteur Donovan Bailey? Vous ne voyez pas? Allez, faites un effort... Mais, bien sûr, ils partagent leur date d'anniversaire avec moi (ou peut-être bien est-ce moi avec eux)?

Alors, tant qu'à partager, servez-vous un morceau de ce délicieux gâteau envoyé il y a quelques minutes par Venise! Champagne!

lundi 15 décembre 2008

Dominique Fortier: Du bon usage des étoiles

Ce premier roman de Dominique Fortier est unique: par son propos, sa forme, son approche, son style, la plastique irréprochable de l'objet lui-même (chapeau ici pour la mise en page). On le feuillette comme on le ferait d'un album de photos d'un autre siècle: avec curiosité, avec tendresse, avec nostalgie, avec tristesse aussi quand on réalise que, bien sûr, personne ne sortira indemne de cette aventure au bout du monde.

Le style de l'auteure d'une délicatesse et d'un raffinement subtils m'a souvent interpellée, la façon dont elle détourne certaines images, le contrepoint des tons. Pourtant, lors de ma lecture, l'émotion n'a pas réussi à transpercer les glaces épaisses ou sinon trop peu souvent: lorsque Crozier explique à sa belle inaccessible le secret des étoiles par exemple, quand Lady Jane remue ciel et terre pour retrouver son mari ou quand on ressent l'inutilié flagrante d'un tel périple. Je contemplais avec une certaine fascination les événements, les rouages de l'histoire mais avec détachement, comme si chaque pétale magnifiquement ciselé de cette fleur de glace m'éblouissait trop pour que je puisse prendre conscience de la fleur derrière.

Pourtant, je n'oserais pas avancer que le roman ne soit pas une réussite, qu'il n'ait pas tenu son pari audacieux de tisser l'une avec l'autre la petite et la grande histoires, qu'il ne soit pas maîtrisé. Peut-être espérais-je y trouver un rendez-vous avec l'émotion et que je n'étais pas destinée à la rencontrer en feuilletant cet album-ci.

Les commentaires de lecture des collaborateurs de La Recrue sont multiples... Découvrez-les ici...

dimanche 14 décembre 2008

Les neurosciences au service d'une éducation musicale

Jean-Paul Despins enseigne la musique et les moyens de la transmettre depuis maintenant 50 ans. Il a formé des générations d'étudiants à l'école Le Plateau, à l'Université Laval et maintenant à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Il incarne de manière vibrante l'enseignant qui reste jeune : œil pétillant et volontiers taquin, rire franc et communicatif. Depuis 20 ans, il milite haut et fort pour l'intégration des neurosciences dans l'enseignement musical et dénonce les lacunes du système d'éducation.

L'émotion, maîtresse de la raison

Il met l'accent en premier lieu sur l'urgence de se réapproprier l'émotion : « On enseigne trop cognitivement sans faire appel à l'émotion, alors qu'on sait qu'elle est la maîtresse de la raison. On n'apprend pas à partir d'un comportement négatif, donc d'émotions négatives. Si je vous demande de jouer au piano un mouvement de sonate que vous avez appris, vous allez jouer celui que vous aimez le plus. Celui que vous n'avez pas aimé, vous l'aurez oublié. Il faut sortir de cette contrainte de tout intellectualiser sans l'apport de l'émotion. »

Pour M. Despins, le professeur a pour première mission de transmettre cette émotion: « Les enfants sont un peu comme des animaux. Ils saisissent le professeur par les yeux. Si le professeur ne transmet pas d'émotion, il aura toujours des problèmes. » En même temps, l'apprentissage n'est pas fait pour tous les enfants. Le professeur peut les aider à apprendre mais ne doit pas les forcer. Entre ici en ligne de compte la capacité de lire les comportements afin d'anticiper les réactions des élèves, plutôt que seulement y réagir.

Pas tous égaux face aux apprentissages

Un autre point essentiel à considérer reste les différenciations sexuelles dans l'apprentissage. « Il faut comprendre la base biologique, explique monsieur Despins. On affirme que tout le monde est pareil, ce qui est faux. On peut arriver au même but, mais en passant par des chemins différents. Que ce soit au cours de français, de mathématiques ou de musique, on se rend compte que les garçons apprennent différemment, davantage en trois dimensions. Ces acquis, pourtant bien établis par des chercheurs, sont, curieusement, ignorés en musique. » En insistant sur les matières qui exigent une motricité fine, on pousse les garçons à la révolte, tandis que les filles ne développent pas leur côté spatial: « Quand on hypertrophie quelque chose sans savoir, on hypotrophie autre chose. »

L'image sonore avant toute chose

L'étude des neurosciences a aussi permis d'établir que tout apprentissage musical requiert le développement de l'image sonore bien avant celui de l'image motrice. Le professeur Despins déplore le fait que les enfants fassent souvent leurs premiers pas musicaux à la flûte à bec: « On met tout de suite un instrument entre les mains des enfants, sans savoir s'ils peuvent entendre et juger correctement. Dans les années 1960, on achetait des caisses de flûtes pour les écoles. Qu'est-ce qu'on a fait ? On leur a brisé l'oreille. On sait aujourd'hui, grâce à des recherches faites chez les fœtus, que les très jeunes enfants s'adaptent très mal aux sonorités aiguës et que le circuit nerveux intègre mieux les basses et les moyennes fréquences. » C'est pourquoi monsieur Despins propose une pédagogie musicale en deux temps. Tout d'abord, les enfants chantent durant les deux premières années et doublent cette expérience d'études de mouvement basés sur l'enseignement Dalcroze. Ces deux aspects complémentaires visent à enrichir l'image sonore des enfants et à développer leur sens du rythme par l'utilisation de tout le corps. Ce n'est qu'au deuxième cycle, une fois l'image sonore bien ancrée, que les enfants se mettent à l'étude des instruments Orff. Des recherches (Alain Berthoz en France et France Simard à l'UQAM) appuient la proposition de monsieur Despins. En effet, les chercheurs ont démontré que l'apprentissage se fait plus rapidement, quel que soit l'instrument, quand l'enfant chante les mélodies avant de les jouer. « L'oreille voit plus que l'œil n'entend », conclut M. Despins.

jeudi 11 décembre 2008

Deuils cannibales et mélancoliques

Étrange travelling arrière, quand on a lu les deux derniers ouvrages d'une auteure de retourner vers son premier écrit, publié il y a huit ans. Difficile de conserver la même objectivité que lorsque je lis un roman dans le cadre de La Recrue, par exemple. C'est un peu comme de regarder le début d'un film dont on connait la fin mais, en même temps, on aimerait obtenir des précisions cruciales sur tel coup de théâtre ou sur tel choix de trame narrative. Quand j'ai rencontré Catherine Mavrikakis au salon du livre il y a quelques semaines et que je lui ai demandé quel livre elle me recommandait pour continuer la lecture de son œuvre, elle m'a aussitôt suggéré Deuils cannibales et mélancoliques, dédiés à la mémoire de tous ces amis, amis d'amis, vagues connaissances, mortes du SIDA. Je me suis dit que l'auteure était certes la mieux placée pour orienter ma lecture ici.

Bien sûr, dès les premières phrases, on aborde un univers sombre, dans lequel la mort joue un rôle fort important (geste littéraire qui se prolonge également dans Omaha Beach et Le ciel de Bay City). « J'apprends la mort de mes amis comme les autres découvrent que leur billet de lot n'est toujours pas gagnant. Cette semaine, j'ai encore perdu un Hervé, et statistiquement, c'était prévisible: tous mes amis s'appellent Hervé et sont, pour la plupart, séropositifs. La mort à coups de statistiques ne délivre de rien. Surtout pas de l'imprévu de la mort. » Pourtant, avec une force remarquable, l'auteure réussit à nous faire basculer dans cet univers pas si improbable qu'il n'y paraît et tisse une toile robuste autour de ces Hervés qui croisent sa route, cocon très souvent surprenant de tendresse. Comme son héroïne dans Le ciel de Bay City, Catherine, professeur de littérature à l'université comme son auteure, se questionne, se révolte, s'insurge, mais en même temps accepte avec naturel que les morts sont faits pour côtoyer les vivants, les faire avancer, même quand ils les déstabilisent. « C'est en moi que je fleuris son souvenir. Moi devenue la tombe de cet ami mort, très probablement. » (p. 29) ou encore « Ce n'est pas le lieu de naissance qui compte dans notre vie. C'est la recherche du lieu de notre mort qui nous pousse à continuer à vivre. » (p. 82)

Si le style littéraire est (forcément) légèrement moins achevé que dans son dernier opus, il reste d'une puissance remarquable, premier roman ou pas. Les phrases frappent, elles assomment, elles illuminent aussi, font réfléchir très souvent. « Je suis amnésique de ce que j'écris, et je crois que j'écris pour oublier, pour soulager ma mémoire... » (p. 173) Avec le recul, on peut dire que, déjà, le germe de l'œuvre à venir était présent, que ce premier écrit était entièrement assumé, qu'il portait en lui tout le reste. Cela demeure sans conteste la preuve que la voix de l'auteure s'avère unique.

Le livre est malheureusement presque impossible à dénicher en librairie, sauf peut-être en bouquinerie ou, si vous êtes très chanceux, sur commande spéciale. Il se retrouve par contre dans toute bonne bibliothèque.

mardi 9 décembre 2008

Autoportrait en lectrice

Lu il y a quelques instants chez Antigone, ce questionnaire... Peut-être saura-t-il vous inspirer?

Plutôt corne ou marque-page? Absolument marque-page, fût-ce une vieille correspondance de métro déchirée. Je ne cornerai qu'en ultime recours et ça m'énerve un peu quand j'emprunte un livre corné à des dizaines d'endroits à la bibliothèque.

As-tu déjà reçu un livre un cadeau? Quelle question farfelue! Mais bien sûr... Il faut parfois par contre se méfier de ses envies. Il y a quelques années, j'avais insisté pour recevoir Les Bienveillantes en cadeau de Noël... La déception après avoir investi des dizaines d'heures là-dedans. Oserai-je récidiver cette année et souhaiter de nouveau le Goncourt?

Lis-tu dans ton bain? Non... Je suis plus douche que bain, ce qui compromet sérieusement les possibilités. Mais mes enfants ont eu des livres de bain quand ils étaient petits.

As-tu déjà pensé à écrire un livre? Un seul? Oui, bien sûr.

Que penses-tu des séries en plusieurs tomes? Si j'ai une tendance à lire tous les livres d'un auteur que j'apprécie particulièrement, je ne suis vraiment pas du type à me taper des séries, à part peut-être des polars qui mettent en vedette le même personnage.

As-tu un livre culte? Difficile question. Le livre que j'ai relu le plus de fois: Le petit prince de St-Exupéry.

Aimes-tu relire? Je le fais très rarement, sauf s'il est question de poésie bien sûr. J'ai toujours aimé mieux regarder vers l'avant que l'arrière.

Rencontrer ou ne pas rencontrer les auteurs des livres qu'on a aimés? La rencontre est toujours source d'enrichissement, qu'on ait adoré le livre ou non, mais quand on a aimé en plus, le lien semble encore plus magique.

Aimes-tu parler de tes lectures? À votre avis?

Comment choisis-tu tes livres? Via les conseils d'amis, les blogues, les revues, au hasard aussi, en bibliothèque ou en librairie, si je me sens interpellée par un quatrième de couverture, un sujet, un auteur.

Une lecture inavouable? Je plaide coupable. Dans mon ancienne vie, j'ai lu Danielle Steel mais il n'en traîne plus aucun chez moi depuis plusieurs années.

Des endroits préférés où lire? Dans mon lit, dans le métro, dans un lieu d'attente, en marchant sur la rue...

Un livre idéal pour toi serait: un livre qui nous inspire, qui reste avec nous quand on le referme, qu'on ne voudrait jamais terminer. Le temps où nous chantions de Richard Powers possédait selon moi toutes ces qualités.

Lire par-dessus l'épaule? J'aime bien dans le métro reluquer les titres mais je ne lis que très rarement par-dessus l'épaule. Je suis plutôt plongée dans mon livre.

Télé, jeux vidéos ou livre: livre, essentiellement, un peu télé, pas du tout jeux vidéos (sauf peut-être, à l'occasion, une petite partie de Rock band avec mes ados).

Lire et manger? Seulement le journal.

Lecture en musique, en silence, peu importe? En silence si possible mais, dans une foule, je peux très bien me concentrer

Lire un livre électronique? Ça m'arrive mais seulement des ouvrages impossibles à trouver aujourd'hui (style ouvrages de référence des siècles passés), que je déniche sur Gutenberg mais, sauf s'il est très court, je l'imprimerai pour le lire version papier.

Une petite manie livresque: J'aime l'odeur des livres neufs, de colle et de papier mêlés.

Ma question en plus. Lire des biographies? J'en lis peu, sauf dans le cadre de mes recherches quand j'écris des notes de programme par exemple où si je dois rédiger un compte rendu de lecture. Par contre, je me promets depuis plusieurs années de lire l'autobiographie de Charlie Chaplin, un exemple du genre, semble-t-il.

Alors, à qui le tour ?

Il suffit de copier-coller les questions et d'ajouter une question en plus à chaque fois.

lundi 8 décembre 2008

L'Orchestre Youtube

Oui, vous avez bien lu... Youtube invite les jeunes musiciens à prendre part à un projet unique: jouer une symphonie de Tan Dun au Carnegie Hall de New York avec d'autres musiciens de partout dans le monde, choisis grâce à une audition filmée. Vous travaillez vos extraits (selon les exigences de votre instrument), profitez de classes de maître en ligne pour mieux vous aiguiller et suivez Tan Dun qui vous dirige, vous et seulement vous, grâce à la magie de la vidéo. Vous vous sentez prêts? Vous envoyez votre participation et croisez les doigts. Et si vous étiez choisi? Tous les détails sont ici...

Vous me pardonnerez je l'espère un tout petit aparté... Nous avons des danseurs fabuleux au Canada et, oui, Nico vient d'être couronné le meilleur danseur de la première édition de So you think you can dance Canada!!! Oui, je sais, ça ne fait pas très sérieux de l'admettre mais je VOULAIS qu'il gagne! Pour revoir le clip dans lequel il danse avec Arassay sur Somebody to love de Queen, c'est par là... Moi, je le prendrais bien comme ange-gardien. ;-)

dimanche 7 décembre 2008

Laisser parler le texte

Suite à mon dernier billet sur Bob de René-Daniel Dubois et les interrogations soulevées par Venise suite à la lecture du commentaire de Laurence (on se croirait dans une séance du jeu de téléphone, pardonnez-moi), je me permets ici de partager un extrait de la pièce. Madame Fryers, qu'on connaît mieux dans la pièce sous le prénom d'Agnès, est cette grande actrice qui, à quelques jours à peine de sa mort, accueille chez elle Bob et souhaite lui transmettre certaines vérités essentielles. Lors de cette scène, ils travaillent sur le sens - et l'essence - de la tragédie Phèdre.

« MADAME FRYERS. Ce n'est pas du papier imprimé. C'est la mémoire et des damnés et des saints. Qui ont vu la lumière ou ont été brûlés par elle. Prenez-le. Prenez! Portez-le à votre oreille. Qu'est-ce que vous entendez?

BOB. Rien...

MADAME FRYERS. Vous êtes sourd. Vous êtes un imbécile sourd. Un imbécile présomptueux qui n'entend rien et s'imagine tout connaître. Écoutez, les murmures. Dantesques. Les murmures de ceux qui vous appellent à eux pour que vous deveniez leur porte-parole. Entendez leurs chuchotements informes. Leurs gémissements dans la nuit éternelle. Ils ont besoin de vous. Entendez-vous, à présent?
Pour que vous les défendiez dans le monde des vivants. Que vous leur prêtiez forme, sur cet îlot minuscule qu'est la vie au cœur du néant glacial. Et vous! Vous, infatué cabotin, ne trouvez rien de mieux à faire que de trouver qu'ils ont des problèmes d'ego à régler? D'ego? Ouvrez!
Acte troisième, scène première. Phèdre. Elle va mourir, sans les mains de l'amour dans les siennes. Vous l'avez entendue?
...
Que doit-elle faire? Lui arracher ses vêtements et le tripoter, tel une vulgaire rencontre de ruelles? Il est son dieu! Nous ne sommes pas ici dans vos téléromans à l'eau savonneuse, où les vies se succèdent, s'entrechoquent comme des billes et puis repartent dans toutes les directions, ne se souvenant qu'à peine, après s'être laissées, s'être jamais rencontrées n'eût-ce été que trente secondes. Ce livre, n'allez pas croire que c'est nous qui le faisons. C'est lui qui nous fait! Ce sont eux: nos âmes! Nos vies! »

vendredi 5 décembre 2008

Bob

Magistral, magnifique, magique: la dernière pièce de René-Daniel Dubois, Bob, présentée au Théâtre d'Aujourd'hui pour quelques jours encore à peine (malheureusement pour vous, c'est complet) est tout ça et bien plus encore. Bob et Andy, deux coursiers à vélo, tombent, plongent, volent littéralement en rencontre, leurs trajectoires se percutent. L'un homosexuel, Andy (Benoit McGinnis, particulièrement convaincant avec un jeu tout en nuances), en apparence plus fragile, est sous le choc amoureux. L'autre (Étienne Pilon, caméléon qui se métamorphose sous nos yeux, magistral) est prêt pour une rencontre, une vraie connexion entre deux êtres, des liens tissés serré, qui soutiennent, qui illuminent mais qui permettent aussi aux douleurs d'être exprimées, de ronger l'âme, d'être transcendées aussi.

Le texte, qui a habité l'auteur pendant près de 17 ans (!) est d'une rare puissance et d'une réelle poésie. Il questionne sur l'identité, l'image que l'on transmet aux autres (et indirectement à soi), la nécessité pour l'humain d'établir des contacts réels, pour l'artiste de pouvoir créer. Il fait aussi voler en éclats les préjugés, que ce soit en nous présentant l'histoire d'amour/amitié minée au départ entre un homosexuel et un hétérosexuel ou en nous dépeignant celle de Bob et Agnès, une actrice à deux doigts de la mort (spectaculaire Michelle Rossignol) qui revit une dernière fois grâce à la promesse de la jeunesse. Il force à l'écoute (et ce, pendant près de quatre heures qui passent à une vitesse surprenante), à l'instrospection, favorise le doute, la catharsis.

La mise en scène de René Richard Cyr joue la carte de la subtilité et de la transparence. (Tous les accessoires sont par exemple en périphérie de la scène dès le début.) Les interventions du chœur dont certains membres jouent ici et là certains rôles secondaires (soulignons ici le jeu parfaitement assumé de Robert Lalonde) sont efficaces, transformant la pièce à quelques occasions en oratorio. La présence de Michelle Rossignol à la fois sur vidéo et sur scène est particulièrement efficace. Les images de Pierre Mignot permettent de saisir les infimes nuances de son jeu et de les magnifier, de les sublimer.

Coup de foudre, coup au coeur... Amour, magie, art: un triumvirat éternel, qui continuera d'habiter longtemps ceux qui ont pu participé à cette communion exceptionnelle.

Pour ceux qui voudraient découvrir la pièce de l'intérieur, elle est publiée chez Leméac (au coût relativement minime de 17 $).

Une vidéo avec certains des intervenants ici...

jeudi 4 décembre 2008

Les romantiques


Sauriez-vous tracer un fil entre les livres de votre vie, de vos lectures d'enfant jusqu'à aujourd'hui? Le tracé serait sans doute sinueux, au gré des rencontres, des coups des coeurs, mais sans doute inspirant. Les Romantiques de Barbara Gowdy est un livre dont Neil Smith (notre recrue de septembre) m'avait parlé avec beaucoup d'éloges. Alors quand, il y a quelques semaines, je l'ai croisé (presque) par hasard (je tenais compagnie à un ami dans une bouquinerie, il n'y a rien de mal à ça, n'est-ce pas?), bien sûr, il s'est retrouvé dans mon sac.

J'aime les univers feutrés, les histoires d'amour éternelles mais torturées, les auteurs qui n'ont pas peur des mots. J'ai été servie avec ce livre magnifique, toute en sobriété, en demi-teintes mais en émotions réelles. Louise aime Abel depuis l'enfance d'un amour exalté, exacerbé. Elle a tenté de l'oublier, de se bâtir une vie simple, loin des interrogations, des confrontations, des embûches qu'Abel a choisi de jeter sur sa route (départs, silences, trahisons, alcool). Elle tente aussi d'accepter le départ de sa mère, une beauté sublime qui, un bon matin, sans raison, a quitté mari, enfant et maison pour se fondre dans la nature.

Dans un style riche, élégant, jamais surfait, Gowdy trace un superbe d'époque, de vie, de choix à assumer, riche en émotions, en réflexions, qui hante l'imaginaire une fois le livre refermé. Une auteure que je recroiserai sans aucun doute... aucunement par hasard.

mercredi 3 décembre 2008

Mort d'une géante de l'art contemporain canadien

Ces jours-ci, on est peut-être plus porté à lire la section « Actualités » de notre quotidien préféré que la section culturelle, sur laquelle je me jette généralement en premier. Après avoir fait le tour de la question du vraisemblable renversement du gouvernement Harper (on hésite entre le rire jaune et le déni), j'ai été profondément touchée par l'annonce du décès de Betty Goodwin, grande dame de l'art contemporain canadien. Ses estampes et collages, ses bâches et ses dessins, caractérisés par des dimensions importantes, la façon dont elle rejoint le spectateur à un niveau viscéral - plusieurs n'hésitant pas à pleurer devant ses Nageurs par exemple - témoignent de la force d'une oeuvre puissante, qui occupe une place unique dans la production nationale. Et dire que je n'avais même pas réalisé qu'elle habitait à Montréal!

Deux articles fort intéressants, qui comprennent nombre de témoignages touchants: le premier paru dans Le Devoir, le second dans La Presse.

Je me retire sur la pointe des pieds et laisse quelques-unes de ses images parler pour elle. Mrs. Goodwin, you will be missed!

Moving Towards Fire (1983)



So Certain Horse (1985)



Figure Ladder (1996)

mardi 2 décembre 2008

Saint François d'Assise de Messiaen


Puissance, tendresse, rigueur, liberté, poésie et spiritualité : autant d’émotions suscitées par la musique d’Olivier Messiaen. Afin de lui rendre hommage, l’Orchestre symphonique de Montréal interprétera, pour la première fois au Canada, vendredi et mardi prochains, le colossal Saint François d’Assise. La présentation de la version concert de ce véritable testament musical s’inscrit dans le cadre de l’Automne Messiaen, événement montréalais d’envergure se greffant aux célébrations mondiales soulignant le centenaire de sa naissance. Kent Nagano semble le chef idéal pour transmettre cet univers remarquable. En effet, les liens l’unissant à Messiaen - qu'il identifie comme son « père spirituel » - remontent à 1983, alors que le chef était choisi par le compositeur lui-même pour assister Seiji Ozawa lors de la première de l’œuvre à Paris. (Kent Nagano a signé depuis deux enregistrements de l’opéra.)

Si la foi catholique constitue le moteur le plus puissant de la vie artistique de Messiaen, son idéal demeure de composer de la musique comme la Nature l'aurait conçue, sans intervention humaine. Les oiseaux, qu'il appelle « ses premiers et ses plus grands maîtres » ou « nos petits serviteurs de l'immatérielle joie », l’ont toujours fasciné et il a intégré des centaines de leurs chants à ses œuvres. Il ne pouvait donc que se sentir interpellé par l’histoire de saint François, lui qui leur prêche et chemine vers Dieu, non pas tant à travers ses actions que ses états intérieurs.

Les effectifs de cette œuvre lyrique de plus de quatre heures demeurent imposants. (Il y aura deux entractes, dont un plus long, histoire d'avaler une bouchée, l'opéra débutant à 18 h!) Outre les chanteurs solistes qui camperont les divers rôles, la partition est écrite pour un orchestre de plus de 100 musiciens (dont des sections de bois et de percussion élargies) et 150 choristes (divisés en 10 parties). En trois actes et huit tableaux, ces « scènes franciscaines » se veulent une synthèse particulièrement réussie entre recherche rythmique et déploiement des couleurs sonores et offriront une occasion exceptionnelle de prendre part aux festivités et de s’approprier l’univers du compositeur. J'y serai vendredi...

« La musique est un perpétuel dialogue entre l’espace et le temps, entre le son et la couleur, dialogue qui aboutit à une unification : le temps est un espace, le son est une couleur, l’espace est un complexe de temps superposés, les complexes de sons existent simultanément comme complexes de couleurs. Le musicien qui pense, voit, entend, parle au moyen de ces notions fondamentales, peut dans une certaine mesure s’approcher de l’au-delà. »
(Olivier Messiaen)


Dans un autre registre, plus intime (piano solo), j'ai eu le plaisir d'écrire les notes pour la pochette du CD de Louise Bessette dédié à Messiaen, Les oiseaux. (Elle est également l'initiatrice de l'Automne Messiaen qui se déroule à Montréal depuis septembre.) Pour ceux qui souhaitent approfondir un peu le compositeur, vous pouvez les lire ici...

Calendrier de l'Avent

Oui, je l'avoue volontiers, je suis un peu grande pour un calendrier de l'Avent garni de petits chocolats (qui ne goûtent pas grand chose de surcroît). Par contre, je ne le suis pas quand vient le temps d'apprécier le calendrier de l'Avent de Lavinie qui, tous les jours de décembre, nous offre un poème anglais à apprécier. Pour ceux et celles qui désirent relire leurs classiques (anglophones) ou en découvrir de nouveaux, c'est l'endroit idéal où flâner. Hier, nous avons eu droit à The Rose of the World de Yeats et, aujourd'hui, un de mes préférés, The Road not Taken de Robert Frost.
C'est par ici...

lundi 1 décembre 2008

Premier décembre

La page du calendrier a été tournée, sur fond de petite neige mouillée. Décembre, mois des cadeaux, des partys de bureau (très peu pour moi), des excès de toutes sortes. Vendredi, lors du Black Friday (le jour après le Thanksgiving américain, alors que les magasins ouvrent leurs portes à 7 heures du matin pour que tout le monde se mette en mode « achat compulsif pour Noël »), un vendeur de chez Walmart a été piétiné par des clients qui se prenaient sans doute pour des taureaux et deux hommes ont perdu la vie lors d'une fusillade... dans un ToysRUs! Ce ne serait pas un peu exagéré, quand même? Stéphane Laporte a pondu un très savoureux billet là-dessus, paru dans La Presse d'hier. Pour le lire, c'est ici...

Pour moi, comme pour plusieurs, le 1er décembre reste la Journée mondiale de lutte contre le sida. Il y a 25 ans déjà, une équipe de l'Institut Pasteur découvrait le virus du sida. Aujourd'hui, 33 millions de personnes sont infectées par le VIH dans le monde entier et on estime à 25 millions le nombre de morts depuis l'identification des premiers cas. Quelques grandes dates sont rappelées ici...

Pour assumer cet état d'esprit, j'ai amorcé aujourd'hui la lecture du premier roman de Catherine Mavrikakis, Deuils cannibales et mélancoliques, écrits à la mémoire de ses nombreux amis morts du sida. Je vous reparle des Romantiques de Barbara Gowdy sous peu...

samedi 29 novembre 2008

Richard POWERS, Le Temps où nous chantions

Je triche un peu ici... et vous présente deux compte-rendus de lecture qui datent un peu. Dans un cas, un portrait d'un musicien important (Paul Loyonnet) mais ici, un coup de coeur total ressenti il y a deux ans, que j'ai eu beaucoup de mal à égaler depuis. (Si je devais mettre un seul 5 * dans ma liste, ce serait vraisemblablement ce titre-ci.) Comme il a croisé ma route en librairie hier (en fait, je cherchais le dernier titre de l'auteur, non disponible malheureusement), je me permets de le partager ici.

Le Temps où nous chantions est l’un de ces trop rares livres que l’on voudrait ne jamais voir se terminer et que, pourtant, on se sent forcé de lire de façon compulsive. David, jeune scientifique juif fuyant le nazisme et spécialiste de la relativité, rencontre Delia, chanteuse noire issue de la bourgeoisie de Philadelphie, au légendaire concert extérieur de Marian Anderson à Washington. Malgré les différences d’éducation, les tensions raciales qui imprègnent tout le livre et l’incompréhension des gens qui les entourent, ils fondent une famille, élevée dans la tradition de la musique classique. Les soirées en famille sont passées à chanter, à jouer au jeu des citations musicales (les mélomanes ferrés se délecteront), à partager cet amour qui les définit de façon plus juste que leur couleur de peau. Jonah, l’aîné, deviendra chanteur classique puis un des premiers « baroqueux », Joey (le narrateur) pianiste tandis que Ruth choisira la voie de l’activisme politique avant de retrouver la musique, plus tard dans sa vie. La musique ne sert pas seulement de toile de fond à cette grande fresque américaine qui couvre une soixantaine d’année, elle en est le cœur vibrant. Richard Powers (qui a suivi des cours de chant pendant de nombreuses années) décrit avec une rare finesse les airs musicaux qu’il évoque et les émotions qu’ils suscitent, rend presque simple la physique quantique (il a étudié en physique et a travaillé en informatique avant de se consacrer à la littérature) mais sait surtout peindre les soubresauts de la vie qui comble autant qu’elle déchire.

Un pianiste et son temps. Paul LOYONNET (1889-1988). Souvenirs réunis et présentés par Pierre Giraud.

Paul Loyonnet reste un pédagogue et un conférencier respecté par une certaine génération de pianistes canadiens, en partie grâce à ses livres sur les sonates de Beethoven et à celui titré Les gestes et la pensée du pianiste. Le pianiste français, d'abord connu comme virtuose (on évalue à 2000 ses enregistrements réalisés entre 1918 et 1932 !), s'était établi à Montréal en 1954, après une retraite volontaire d'une vingtaine d'années. Ce recueil de souvenirs nous permet de découvrir un autre côté de ce spécialiste du « jeu perlé ». Celui qui a joué et connu Saint-Saëns, Fauré, Debussy et Ravel, a noté dans des carnets les grandes étapes mais, surtout, les rencontres marquantes de sa vie dans un ton vivant, très personnel mais lucide (il sait rire de ses travers avec humilité). Loyonnet raconte ses années au Conservatoire, trace un portrait des salons mondains du début du XXe siècle qu'il a fréquentés grâce à son mécène Léo Sachs, raconte des souvenirs de tournée, parle des œuvres qu'il a interprétées et qui l'ont touché. Pourtant, plus que la peinture d'une époque en pleine ébullition sur le plan créatif (souvent fascinante), c'est la découverte de l'homme derrière l'artiste qui rend la lecture de cet ouvrage si envoûtante.

vendredi 28 novembre 2008

Michel Tremblay s'exprime...

Il vient de recevoir le prix du grand public de la dernière édition du Salon du livre de Montréal pour La traversée du continent. Saisissant la balle au bond, il a prononcé un discours de remerciement dont chaque mot avait été pesé, mesuré, senti. En voici un extrait, tel que repéré sur le blogue de Chantal Guy.

« La culture d’un pays, c’est sa façon de s’exprimer, de se décrire lui-même, de se chanter, de se danser, de se voir, de se fêter, de se critiquer, de se comprendre grâce à l’imagination des artistes, et de s’affirmer devant le reste du monde en lui montrant qui il est et ce qu’il estcapable de faire. Couper dans la culture, vouloir l’étouffer, la censurer, lui défendre de voyager,c’est empêcher un peuple, à travers ses artistes, d’utiliser son imagination et empêcher l’imagination mène à l’apathie et à l’ignorance. Ou à la seule version du monde d’un gouvernement frileux qui a peur de la subversion. La subversion vient souvent de la culture, c’est vrai, elle est la plupart du temps dérangeante et pas souvent belle, elle dit ou montre des choses qu’on ne veut pas toujours voir ou entendre, mais elle est nécessaire à la vie d’un pays démocratique. Parce que la culture existe aussi pour dénoncer ce qui ne fonctionne pas dans la société et que la subversion soulève des questions que jamais un gouvernement n’oserait poser par peur de se rendre impopulaire et de perdre de précieux votes. La culture a, entre autres, une tâche presque aussi importante que celle d’un gouvernement : dénoncer ce qui va mal. Couper dans le soutien à la culture tout en prévoyant acheter des engins de guerre usagés dont personne dans le monde ne veut est un geste non seulement arrogant et inconséquent, mais aussi une preuve d’ignorance crasse. Essayer de faire taire une partie de la culture d’un pays, surtout celle qui voyage et qui peut faire la réputation de ce pays, sous prétexte d’économies de bouts de chandelle, c’est assassiner ce pays à petit feu ou, du moins, commencer à le pousser vers l’inertie et l’insignifiance. La culture donne un sens à la vie ; pas l’achat d’engins de guerre.

Une fois pour toutes, vive la créativité, le sel même de l’existence d’un peuple, et à bas la censure néfaste et dévastatrice pratiquée par un gouvernement qui veut ne voir prévaloir qu’une façon de penser, la sienne ! »

mercredi 26 novembre 2008

Philip Glass: La Belle et la bête

Minimalisme, postminimalisme : il serait inutilement réducteur de résumer en ces deux seuls termes l’œuvre particulièrement fertile de Philip Glass, l’un des compositeurs américains contemporains les plus salués. On peut néanmoins tenter d’en extraire quelques grands axes principaux. Ainsi, la notion de temps doit être perçue de façon entièrement différente de celle entretenue habituellement, non plus comme une continuité mais plutôt une succession d’instants qui se jettent les uns dans les autres, sans relation de cause à effet. « Nous venions du théâtre expérimental et non d’un enseignement traditionnel que nous auraient inculqués de doctes professeurs : John Cage, Merce Cunningham, le Living Theatre, Grotowski et Genet étaient nos racines. L’idée d’un temps différent, d’une durée extensible, venait plus de Beckett que du raga indien », expliquait Glass dans Le Monde de la musique en septembre 1999. De plus, en choisissant de traiter le son de la façon la plus neutre possible, le compositeur transmet une volonté d’abandonner toute forme de raisonnement. En se laissant essentiellement guider par ses sensations, l’auditeur peut mieux percevoir l’extensibilité relative du temps, les chatoiements des cellules mélodiques. Celles-ci s’additionnent, se soustraient, donnent l’impression de se démultiplier, suscitant un état méditatif, l’oreille se laissant séduire par un univers tourbillonnant dénué de points d’ancrage, sans logique apparente, mais pourtant parfaitement naturel.

Dès ses années d’apprentissage à Paris, Glass a porté un intérêt marqué au cinéma de Cocteau. « J’ai d’abord vu les films de Cocteau quand je suis allée à Paris en 1954 pour étudier le français. J’avais 17 ans alors et le Paris que j’ai vu était le Paris de Cocteau. La vie de bohème que vous voyez dans Orphée, je l’ai connue, elle m’attirait, explique-t-il dans une entrevue avec Jonathan Cott. Ces personnages étaient les gens que je fréquentais. Je visitais les studios des peintres, appréciais leur travail, allais au bal des Beaux-Arts et restais éveillé toute la nuit. […] Il y avait une esthétique, un point de vue, une vision de la culture qui m’ont considérablement rejoint à l’adolescence et dans la vingtaine et qui ont germé en moi tout ce temps. Quand, au début des années 1990, j’ai finalement pu réaliser une version d’Orphée, je savais exactement ce que je voulais faire… comme je l’ai su pour La Belle et la bête. Ces deux œuvres sont des hommages à Cocteau, que je considère un artiste important du XXe siècle. »

Dans ce projet ambitieux d’opéra multimédia (daté de 1994), Glass a choisi d’occulter la trame sonore du film de Cocteau (musique et dialogues) pour y substituer une partition chantée à l’avant-scène, le film étant projeté en arrière-plan. Cette distanciation permet une relecture de l’allégorie de l’artiste puisant en son cœur même l’inspiration. « Le film traite de la transformation d’un être mi-bête, mi humain – ce que nous sommes tous – au stade de la noblesse de l’artiste, ce que deviendra la Bête en fin de parcours. Avant, la Bête sait qui elle est mais ne peut pas l’être. Et n’est-ce pas là l’état dans lequel nous sommes quand nous tentons d’aborder le processus créatif? Comment devenons-nous ce que nous sommes? Tous les artistes peuvent se sentir interpellés par cette question. » Comme Rossini avant lui, Glass se sert de l’ouverture de l’opéra pour y présenter les thèmes-clé de l’œuvre. L’arrangement pour orchestre à cordes présenté ici est signé Michael Riesman, pianiste, compositeur et chef d’orchestre, l’un des collaborateurs les plus précieux de Glass depuis 1974.

(Extrait des notes de pochette rédigées pour le disque Philip Glass: Portrait, étiquette Analekta)

lundi 24 novembre 2008

Chloé Varin: Par hasard... rue Saint-Denis


Stella est une jeune femme dans la vingtaine, étudiante en danse, plutôt indépendante. Elle n'a que très peu connu son père, occupé à mener une vie parallèle après un divorce comme tant d'autres. Un jour, il décide de renouer les liens et offre à sa fille un abonnement au théâtre en cadeau d'anniversaire: cinq soirées à partager, cinq occasions de s'apprivoiser de nouveau, cinq moments qui ponctueront cette année de façon particulière. L'idée était relativement séduisante et suffisamment riche pour inciter Chloé Varin, jeune auteure de 22 ans qui complétait en 2006 un certificat en création littéraire, à y puiser le matériau son premier roman.

On apprécie l'incursion dans le monde du théâtre, les rebondissements de cette relation alambiquée qui finit par s'épanouir, presque malgré les principaux intéressés. Les effluves pas trop lointains de la chick lit titillent, mais sans trop agresser. Les 128 pages de ce court roman se dévorent d'une seule bouchée. On aurait peut-être souhaité que la psychologie des divers personnages ait eu plus de temps pour s'épanouir, qu'un peu plus de chair ait été laissée autour de l'os, que les réflexions sur le théâtre aient pu contenir plus de substance, qu'on comprenne un peu mieux les motivations de l'abandon puis du regret du père mais les personnages sont plutôt attachants et les dialogues rondement menés. Un parcours à surveiller...

samedi 22 novembre 2008

Un salon vécu différemment


Je n'avais pas mis les pieds au salon du livre de Montréal depuis quelques années, ayant été échaudée un certain vendredi soir par la densité de la masse humaine, la chaleur ambiante et la surstimulation qui nous assaillait de toute part (avec de jeunes enfants qui veulent tout acheter, ça peut devenir pénible). Et puis, hier, j'ai cédé, bien décidé à vivre mon salon différemment. D'abord, j'étais en compagnie de Claudio, livrophage pratiquant, mais qui en était à son premier salon. Et notre mission ne consistait pas à acheter le plus de livres de deux heures (j'en aurai acheté un seul, en trois heures, La maison des temps rompus de Pascale Quiviger dont j'ai tellement aimé le premier roman), plutôt de s'ouvrir au plaisir de la découverte et des rencontres impromptues.

De ce côté-là, j'ai été servie. Arrivée une vingtaine de minutes avant lui, j'en ai profité pour aller rencontrer Catherine Mavrikakis et faire signer mon exemplaire d'Omaha Beach. Vous avez pu lire tout le bien que j'ai pensé de ce titre et du Ciel de Bay City ici, alors j'étais un tout petit peu intimidée. Elle n'est pas le premier auteur à me dédicacer un livre mais les autres l'avaient fait après une entrevue ou parce qu'ils me connaissaient déjà (donc, un vrai contact). Le courant a très bien passé. En quelques phrases, nous étions au coeur de ses livres, nous échangions sur la frontière entre les vivants et les morts, sur certaines réactions de lecteurs déstabilisés et nous avions découvert que nous nous lisions mutuellement, par blogues interposés. En plus, petit détail amusant, mon fils a son frère comme prof d'histoire de l'art et, justement, le jour même, il avait parlé de sa soeur, nominée pour le Prix des Collégiens. (Un débat ou plutôt une vague de fond a frappé le blogue de Venise il y a quelques jours sur ce sujet, je vous invite à découvrir comment.)

Une fois mon ami retrouvé, nous nous sommes dirigés vers le Carrefour Desjardins, où Julie Gravel-Richard venait de terminer un entretien sur l'écriture intérieure (en compagnie également d'une autre Recrue, Mélanie Gélinas). Un réel plaisir de la revoir, ainsi que Venise et Marc, Catherine qui débarquait à peine d'un avion en provenance de Paris (et commençait à ressentir furieusement le décalage horaire). J'ai aussi enfin pu rencontrer Karine, en live, presque par hasard. Je l'ai vue, je l'ai entendue et je me suis dit: « C'est elle! » De beaux échanges sur la littérature, la musique, son boulot, son dernier swap...

Au gré des allées, nous avons échangé avec une représentante de Gallimard, particulièrement convainquante. (En entrant au salon, le Goncourt nous laissait vaguement indifférents; après lui avoir parlé, nous nous sentions presque obligés de l'acheter sur le champ. Nous avons résisté pour cette fois.) Claudio s'est fait un peu bousculer chez Leméac... par Michel Tremblay lui-même. Nous nous sommes tus. J'ai aussi parlé littérature (et même chick lit!) avec Véronique des Éditions Stanké qui m'a fait rencontrer quelques-uns de « ses » auteurs: Éric Trudel (Les 101 disques qui ont marqué le Québec), le journaliste Michel Jean (Envoyé spécial) et Richard Sainte-Marie (Un ménage rouge).

Légèrement exaltés, nous avons ensuite poursuivi la soirée au Pharaon Lounge, pour la Nuit des malaxeurs qui mettaient en vedette pour cette cinquième édition des auteurs de premiers romans, recueils de nouvelles, poèmes, qui ont lu des extraits de leurs oeuvres. Neil Smith (recrue de septembre) m'y avait invitée et je n'ai pas regretté cette soirée, assez débridée merci. Certaines auteures étaient presque étranglées par la timidité lors de la lecture (Dominique Fortier, notre recrue du mois, par exemple). Guillaume Corbeil a fait un numéro de stand-up comic au sujet de sa nomination au GG juste avant de lire un extrait du Relais. Une faune hétéroclite, joyeuse, vaguement délinquante (Neil a dû user d'un maximum de concentration pour lire à travers les bruits de fond très présents) mais plusieurs échanges très enrichissants.

Alors, rendez-vous l'année prochaine?

jeudi 20 novembre 2008

Le salon du livre est ouvert!

Eh oui, depuis hier, les agoraphobes livrophiles sont déchirés: céder aux livres ou reculer devant la masse compacte de visiteurs? Si votre horaire vous le permet, vous avez toujours la solution de vous y présenter tôt le matin (vous croiserez alors tout au plus quelques groupes scolaires). Sinon, eh bien, chaussez vos souliers les plus confortables, revêtez votre t-shirt le plus léger et munissez-vous d'un sac à dos bien rembourré pour ramener vos livres (achetés et/ou à dédicacer). Je n'y suis pas passée depuis des années (quand mes enfants étaient petits, nous y faisions un détour obligé et revenions toujours avec nombre d'albums) mais, là, peut-être que je craquerai, demain soir, en compagnie d'un ami... surtout que Catherine Mavrikakis, grand prix du livre de Montréal, y sera. Serai-je capable de résister? À suivre...

Une chose est certaine, je serai à la Nuit des Malaxeurs au Pharaon Lounge à 22 h, pour entendre de nouveaux auteurs (dont Neil Smith, Guillaume Corbeil, Annie Dulong, etc.) partager leur prose ou leur poésie.

Mon beau sapin...

Non, non, rassurez-vous, l'esprit frappeur de Noël n'a pas encore eu ma peau (il n'en est pas question!). Je suis simplement là pour vous parler du site Mon beau sapin, un site de bande dessinée en ligne, qui présente un auteur différent chaque jour.

Toutes les visites sont comptabilisées. Et juste avant Noël, grâce à son partenaire Orange, Monbeausapin.org versera à la Croix-Rouge Française une somme proportionnelle au nombre de visiteurs total. Ce don sera offert à l'opération "Arbres de Noël" de la Croix Rouge, afin d'offrir des cadeaux aux enfants défavorisés.

Il n'y a rien à cliquer, rien à acheter, il suffit de venir lire de la BD, et en parler autour de soi ! C'est par ici...

lundi 17 novembre 2008

Schumann le magnifique


Je l’avoue d’emblée : comme Obélix, je suis tombée toute petite dans la potion magique. Si Mozart m’a d’abord été révélé par sa vie, j’ai plongé dans la musique de Schumann tête première, bien avant de connaître Eusebius, Florestan, Raro, les Compagnons de David, les Philistins, Clara. L’Album pour la jeunesse a succédé, dès ma deuxième année d’apprentissage, à ma méthode de débutants. Je n’ai qu’à prendre ma partition pour me replonger plusieurs années en arrière. La couverture, où trône encore mon nom écrit en lettres enfantines, est en deux sections rapiécées. Les pages sont jaunies. En page de garde, on retrouve mon écriture d’adulte qui déjà, au début de ma carrière de pédagogue, a jeté quelques grandes lignes sur l’oeuvre. Presque toutes les pièces de la première section sont marquées. Sur certaines se retrouvent des doigtés. Les titres ont été barbouillés d’un trait, pour être repris en français en grosses lettres. Dès qu’une des pièces (aujourd’hui, je dirais une de ces parcelles de poésie pure) était terminée, une autre était aussitôt amorcée.


Plus tard dans mon apprentissage, j’ai découvert la Romance en fa dièse majeur (fallait-il que je trouve l’oeuvre belle pour me persuader de jouer une oeuvre avec six dièses à la clé et toutes ces altérations accidentelles!) puis de nombreuses Novelettes. À 17 ans, ce sera la révélation du Quintette alors que, lors d’un séjour de trois semaines en camp musical, je fais de la lecture à vue avec un quatuor à cordes. Ce sera un coup de foudre irrévocable, une de ces oeuvres qui marque une vie et qui, chaque fois que je l’entends, continue de m’interpeller comme si c’était la première (mon rêve reste de l’interpréter au concert, ne serait-ce qu’une fois…). Il ne faut pas non plus oublier les Dichterliebe (L’amour du poète), un sommet inatteignable, le Carnaval, que j’ai interprété lors de mon récital de fin de maîtrise, les Papillons, la Fantaisie...


Avec les années, je me suis mise à lire sur Schumann et j’ai alors abordé sa vie, sa fièvre créatrice, ses personnalités multiples, son amour profond pour Clara, son soutien aux jeunes compositeurs, son sens critique particulièrement aiguisé. Ses articles dans la Neue Zeitschrift für Musik sont des pièces d’anthologie, d’une grande finesse, que la journaliste en moi ne peut qu’admirer. Ses hésitations, alors que jeune adulte, il oscille entre la musique et la littérature, me parlent aussi éloquemment que sa musique. Les lettres qu’il transmet à sa famille et à ses amis sont de véritables miniatures de la vie qui bat, ponctuées de petits événements du quotidien comme d’interrogations plus fondamentales. Son plaidoyer à Friedrick Wieck pour obtenir la main de Clara reste, aujourd’hui encore, criant d’actualité.


Son journal intime est aussi particulièrement significatif. Quand j’ai lu cette entrée datée de 1833(Schumann avait alors 23 ans), je n’ai pu m’empêcher de frissonner : «Dans la nuit du 17 au 18 octobre, il me vint tout à coup la plus effroyable pensée qu’un homme puisse avoir, et la plus terrible par laquelle le Ciel puisse punir : LA PENSÉE QUE JE PERDRAIS LA RAISON...» Quelle incroyable prescience de ce qui allait se passer… Celui qui doutait n’aurait probablement pas prédit que sa musique franchirait les ères et les modes. Pourtant, sa musique reste, entière, inaltérable, essentielle, comme la vie qui bat.

samedi 15 novembre 2008

Le chef-d'oeuvre de Sébastien Filiatrault: Qui lira rira

Nelligan, Aquin, Baudelaire : des inspirations, des héros, des sphères impossibles à rejoindre pour notre narrateur, décidé à ne reculer devant rien pour extraire de ces profondeurs abyssales « le » chef-d’œuvre dont rêvent tous les auteurs. En lisant le quatrième de couverture, je craignais un écrit sombre et tourmenté, dans lequel l’auteur/narrateur gratterait ses plaies, nous forçant à basculer avec lui au plus profond de sa tourmente. Eh bien, j’avais tout faux et c’est tant mieux!

Dès les premières pages de ce journal intime pas comme les autres, le ton est donné. On rira jaune parfois mais on rira. « On ne devient pas un grand écrivain par un Goncourt de circonstances… » (p. 23) Sébastien Filiatrault prend un malin plaisir à tourner les mots dans tous les sens, à en détourner le sens. L’air de rien, ces pirouettes lui offrent la liberté de lancer quelques piques sur notre société, de nous inciter à l’introspection. « Ils écouteront les oiseaux gazouiller si ça leur chante, j’écouterai la complainte des sirènes de police de cette urbanité empilée dans ses tours de force. » (p. 10) Au passage, il égratigne les téléréalités, le « Plateau d’argent », notre indifférence face aux itinérants, Montréal devenant « la ville aux cent clochards ». Il partage aussi son goût de la lecture (délicieuses rencontres avec Violette et sa petite-fille) et en profite pour glisser en douce quelques interrogations sur la littérature et le merveilleux monde de l’édition. « Avec tout ce qui s’était écrit et s’écrivait présentement, je devais avoir une pression d’au moins dix mille livres sur mes épaules, disloquées par l’embonpoint de l’industrie littéraire. » (p. 212)

Filiatrault signe-t-il avec ce premier roman un chef-d’œuvre? Bien sûr que non et telle n’a jamais été son intention. A-t-il écrit un texte qui se démarque de la vague d’autofiction? Tout à fait, ne serait-ce que par la façon habile dont il a su intégrer l’humour dans ses pages. Surveillerai-je son deuxième roman? Absolument. Qui lira verra.

Vous pouvez lire les autres commentaires de lecture des collaborateurs de La Recrue, certains assez incisifs, merci, ici...

vendredi 14 novembre 2008

Le ciel de Bay City


Une lecture coup de tête, après être tombée sur quelques critiques et avoir entendu l'auteure en entrevue. Une lecture coup de poing, dont on ne se relève pas entièrement indemne. Une lecture coup de cœur qui continue d'habiter, une fois la dernière page refermée et qui nous laisse à la fois drainée et envahie par une série d'images puissantes, de questions irrésolues, d'une certaine tendresse aussi envers ces personnages atypiques (mais au fond, le sont-ils vraiment?).

Catherine Mavrikakis signe ici un livre puissant, déstabilisant, mordant, qui nous plonge dans la banalité de l'Amérique de banlieue telle que nous la connaissons tous trop bien mais aussi dans l'intimité d'Amy, une jeune fille qui, depuis sa naissance, se sent en marge et vit son mal de vivre en écoutant Alice Cooper, hante les allées du K-Mart et porte le noir aussi bien sur ses ongles que dans son âme. Ayant grandi dans l'ombre d'Angie, la soeur aînée morte-née, celle d'un père absent que sa mère souhaite reconquérir en le poursuivant de ses ardeurs et en ignorant son enfant, celle de l'air confiné de cette maison de tôle comme tant d'autres, celle de l'Europe déchirée par la Deuxième guerre mondiale, celle du ciel trouble et mauve de Bay City, elle cherche à comprendre, à s'affranchir du poids du destin, en assemblant les morceaux d'un casse-tête élimé, dont certains morceaux lui ont été cachés depuis sa naissance.

Comme dans Omaha, les vivants cohabitent avec les morts (ici, les grands-parents d'Amy, morts à Auschwitz) et dansent avec eux, avec le passé, un étrange ballet de la folie, de la douleur, de la douceur aussi. « Le ciel d'Auschwitz est un enfer. Il est si noir, Nellie, il me cache le sens de nos vies. » (p. 144) Certains lecteurs en seront peut-être déstabilisés, j'ai choisi de ressentir plutôt que de m'interroger sur la frontière si ténue entre ces deux univers.

Le style de l'auteur est épuré mais d'un rare pouvoir d'évocation. On sent que chaque phrase, chaque mot, ont été choisis avec soin, ciselés patiemment et s'emboîtent parfaitement. J'aurais pu choisir de noircir les pages d'annotations, d'y coller des post-it. Je n'en ai rien fait. En ouvrant le livre au hasard, je sais parfaitement qu'une image, une émotion surgiront, intacts. Je laisserai ainsi le ciel mauve de Bay City gagner la guerre...

En complément, une entrevue avec Catherine Mavrikakis parue dans le Voir ici et un entretien avec Christiane Charette là...
Le blogue de l'auteure, très inspiré...

jeudi 13 novembre 2008

Les 10 règles pour tirer le maximum de son expérience de concert (2/2)


6- À la fin seulement tu applaudiras

Une symphonie est généralement constituée de quatre mouvements (même si des compositeurs, Mahler par exemple, en ajoutent souvent quelques-uns), une sonate, de quatre mouvements et un concerto, de trois. Les applaudissements devraient être réservés à la toute fin de l’œuvre, pour éviter de briser le rythme recherché par le chef d’orchestre et le compositeur. Il est vrai qu’avant la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’expérience de concert était perçue différemment et que les applaudissements ponctuaient les moments forts des œuvres musicales.

Avec l’évolution des formes, le silence s’est imposé pour garder le contact avec le flot continuel de la musique. La pause entre les mouvements les unit. Elle assure même très souvent la cohésion entre les tonalités et les émotions exposées dans chacun d'eux. (Brahms est un maître dans ce domaine.) Entre deux mouvements, le silence devient moment d’arrêt pour assimiler les émotions du mouvement précédent, et prépare à ce qui suivra.

Dans le doute, réfrénez votre enthousiasme et attendez que le chef d’orchestre ou le soliste aient baissé les deux bras et se retourne vers le public.

7 - Le soir du concert, l’esprit ouvert tu garderas

Vous savez qu’une œuvre contemporaine est au programme et songez à arriver en retard ? Au contraire, vous ne jurez que par la musique contemporaine et avez l’impression que Beethoven ou Schumann sont dépassés ? Attendez-vous à être surpris le soir du concert et ouvrez votre esprit à la possibilité d’être touché par la musique que vous entendrez. Bien qu’on dise que les tous goûts sont dans la nature et ne se discutent pas, il est important de réaliser que les programmes ont été soigneusement pensés par les chefs et les solistes afin de démontrer la complémentarité ou la parenté des œuvres présentées, tant en ce qui concerne les thèmes abordés que le traitement qui en est fait.

Même les mélomanes les plus convaincus et en possession d’une imposante collection d’enregistrements peuvent découvrir de nouvelles œuvres ou, sinon, apprécier une nouvelle dimension d’une œuvre côtoyée depuis des années. L’intérêt d’un concert réside dans l’écoute attentive de la version présentée par des artistes à un moment donné. Le triangle de communication ainsi installé entre le compositeur, les interprètes et le public est très souvent à l’origine de moments de pure magie.

8- Ton esprit aller tu laisseras

Si l’ouverture d’esprit reste essentielle, vous devez également accepter la possibilité de ne pas aimer toutes les œuvres présentées ou même certaines sections des l’œuvre. Il est donc inutile de vous blâmer d’avoir décroché durant le troisième mouvement d’une symphonie ou de vous être surpris à consulter votre montre ou votre programme durant le scherzo d’une sonate. La musique agit sur les émotions du public, mais rarement de la même façon sur tous. Ainsi, après le concert, vous pourrez partager avec vos amis vos impressions sur les moments qui vous ont touché ou évoquer ceux qui vous ont horripilé ou laissé indifférents.

9- L’expérience en salle tu privilégieras

Bien que la prolifération des enregistrements et l’accessibilité de fichiers de musique sur Internet aient modifié nos habitudes d’écoute musicale, rien ne remplacera jamais l’expérience d’un concert en salle. L’état d’esprit de l’auditeur qui écoute une œuvre seul dans son salon est forcément différent ce celui qu’il a en salle au milieu de milliers de personnes. Même lors de moins bons soirs, les grands artistes réussiront toujours à faire vibrer votre corde sensible et transformeront la perception que vous aviez d’une œuvre.

10- Au concert souvent tu reviendras

Et avec tes amis ton enthousiasme tu partageras!

mercredi 12 novembre 2008

Les 10 règles pour tirer le maximum de son expérience de concert (1/2)

1- À l’heure tu arriveras

Prévoyez de vous asseoir confortablement dans votre siège de 5 à 10 minutes avant le début du concert. Comme les concerts classiques commencent le plus souvent à l’heure (contrairement aux spectacles populaires), vous pourriez sinon devoir écouter la première œuvre dans le foyer, une expérience beaucoup moins gratifiante que celle en salle.

Vous pouvez bien évidemment profiter de ces quelques minutes pour poursuivre votre conversation avec vos voisins ou vous plonger dans l’ambiance du concert en consultant vos notes de programme.

2- Pendant le concert, parler tu éviteras

Les artistes que vous entendrez ont besoin d’une concentration maximale pour pouvoir présenter l’œuvre jouée sous son meilleur jour. Même si, comme tous les musiciens professionnels, ils se sont entraînés pendant des années à faire face aux imprévus (fausses notes, trous de mémoire et bien d’autres impondérables), ils vous seront reconnaissants que vous leur ayez permis de transmettre le message du compositeur dans les conditions les plus inspirantes possible. Souvenez-vous que les musiciens peuvent, eux aussi, vous voir et vous entendre. Profitez néanmoins de l’entracte et de l’après-concert pour échanger vos impressions avec les gens qui vous accompagnent.

3- Ta pastille ou ton bonbon avant le début du concert tu développeras

Il est bien naturel que vous préfériez offrir à votre gorge la douceur d’un bonbon ou d’une pastille plutôt que de déranger par vos toussotements les moments pianissimo du concert mais, de grâce, pensez-y avant pour que l’acoustique sensible de la salle ne décuple vos efforts de discrétion et ne cause le courroux de vos voisins immédiats.

4- Ton cellulaire et ta montre électronique tu éteindras

Si le compositeur avait souhaité entendre un contrepoint de cellulaires et de bruits électroniques, il les aurait intégrés à la partition.

5- De l’atmosphère du concert classique tu t’imprégneras

L’atmosphère du concert classique diffère de celle du concert populaire. Si danser dans l’allée ou chanter sont encouragés pour soutenir les chanteurs d’un groupe rock, l’attitude à adopter n’est pas la même pour les musiciens classiques. Ils ont besoin d’une concentration maximale, idéalement soutenue par le silence du public, pour présenter les œuvres sous leur meilleur jour et en faire partager les beautés.