jeudi 30 avril 2009

Encore une fois

Dans une vie, certains moments respirent la fébrilité; d’autres la fragilité, la puissance, la terreur, l’exaltation. Dans une vie d’artiste, ces émotions se vivent en un étrange synchronisme quand, quelques secondes avant de poser les mains sur un clavier, sur la touche d’un instrument, sur ses clés, nous basculons dans le vide. Si le travail préparatoire a été correctement effectué dans les mois qui précèdent, nous plongeons les yeux grands ouverts. Si les heures investies l’ont été de façon nonchalante, nous pinçons le nez, fermons la bouche et marmonnons une courte prière.

En tant que professeur, on devient bien plus que simple témoin de ce grand saut. À chaque nouvel élève qui escalade plus ou moins élégamment et allègrement les marches qui le rapprochent du moment de confrontation, le cœur s’arrête ou bat la chamade. On voudrait demander grâce : « Mais voyons, impossible! Vous ne pouvez pas me demander de sauter encore, là, tout de suite! Cela fait à peine 15 secondes que j’ai de nouveau les pieds au sol! » Mais, encore et toujours, un peu nerveusement parfois, on se plaque un sourire d’encouragement sur les lèvres, on canalise toute son énergie, on respire profondément et on remet ça, 2 fois, 10 fois, 20 fois. Parfois, on ressent la douce griserie de planer en toute liberté, soulevé par des phrases musicales complétées, par un souffle inspiré, par une poésie du moment. Mais, avec l’expérience, on apprend à ne pas se laisser bercer, se laisser berner: à altitude aussi élevée, les changements de pression atmosphérique sont souvent violents et la chute, vertigineuse lors d’une seconde d’inattention fatidique. Pourtant, par idéalisme, par utopie, par pure folie, nous recommençons. Sans hésiter, nous remontons avec l’élève suivant ou avec le même élève, forcément métamorphosé, l’année suivante, à la recherche d’un autre sommet, d’un nouveau paysage à découvrir.

mardi 28 avril 2009

Les voix ensevelies

Le 24 décembre 1907, Alfred Clark enterrait pour cent ans quatre urnes de plomb comprenant 48 enregistrements publiés entre 1905 et 1911 par la Compagnie française du Gramophone. En écho, La Bibliothèque nationale de France souhaite constituer une sélection de cent enregistrements qui ont marqué ce siècle-ci. Celles-ci seront mises en réserve, lors d’une cérémonie publique en décembre 2009, pour être redécouvertes, 100 ans plus tard, en 2109, par nos arrières-petits-enfants. Signe des temps, cette sélection se fera cette fois sur le blogue Les voix ensevelies, créé à cette occasion et qui contient une urne virtuelle (eh oui! on n'arrête pas le progrès!) qui se remplira au fur et à mesure des visites et des votes que les visiteurs y déposeront.

Les internautes sont invités à proposer leurs morceaux et à voter dans sept catégories musicales: opéra et musique classique, chanson, jazz et blues, pop, rock, techno et electro, musiques du monde, musique de film et voix parlée.

Le blog et ses commentaires seront enfouis avec les musiques pour raconter l'expérience auprès des hommes du XXIIe siècle. Pour participer à cette grande aventure musicale virtuelle, c'est par ici...

samedi 25 avril 2009

L'art du lâcher prise

Demain après-midi, concert annuel de mes élèves. Semaine un peu fiévreuse donc, entre leçons supplémentaires, encouragements de dernière minute (« Tu vas être capable, pense à faire de la musique »), remontrances amicales (« Mais non, je t'ai déjà dit qu'il fallait tenir ta main gauche à la fin, pour que j'entende bien les trois notes de l'accord! »), applaudissements rythmés (« Tu cours! Compte! »), commentaires constructifs (« On recommence le passage et nous vaincrons! On parle de deux mesures après tout, tu peux réussir! »), désillusions (« Tu ne peux pas me jouer ça de cette façon, tu t'arrêtes partout! Et ta mémoire? ») mais aussi heureuses surprises, comme ce grand qui, en une semaine, est passé d'une version en-place-mais-bof de sa pièce de Piazzolla à - ciel! - de la vraie musique. J'ai aussi été très touchée hier, lors de la répétition générale, de voir cette débutante de 15 ans fièrement braver son stress et les jugements critiques des autres et foncer. (En réalité, il n'y a que moi qui sois critique ce jour-là mais les élèves restent tous sur l'impression d'avoir à faire face à une meute affamée de pianistes, pour une raison qui m'échappe vaguement.) On sentait les palpitations lors de la première pièce mais, 40 secondes plus tard, elle reprenait déjà le dessus. À suivre demain, donc...

En attendant, il fait un temps radieux. Et si j'en profitais pour lire quelques pages de ce livre acheté ce matin? (J'ai été « obligée », puisque j'avais - quelle tristesse! - terminé mon livre, le dernier Foenkinos, à l'aller. Je n'allais tout de même pas contemplé mes compagnons de voyage pendant tout le trajet!)

jeudi 23 avril 2009

Sonate en fou mineur


Pascal est un compositeur arrivé à un point décisif de sa vie, tant créative que sentimentale. Jusque là, il a accumulé les petits boulots, incapable peut-être de faire face à la puissance du geste créateur, et il commence à s'impatienter: réussira-t-il à composer cette fameuse sonate qui l'habite, à reconquérir son ex, la belle Emmanuelle, qui a refait sa vie avec son meilleur ami, à enfin s'assumer entièrement en tant qu'homme et artiste?

Éloi Paré signe avec ce premier roman un essai plutôt convaincant, qui même s'il emprunte aux archétypes son personnage de compositeur tourmenté, sait lui insuffler une dose suffisante de bon sens et d'autodérision pour qu'on s'y attache. Mais cette sonate ne reprend pas les modèles classiques du genre (deux thèmes de caractère contrasté, qu'on retrouvera sous une forme ou une autre tout au long de l'oeuvre) mais plutôt selon la forme cyclique (une même idée, déstructurée, démultipliée, transformée). L'idée maîtresse - le leitmotiv si l'on souhaite poursuivre l'analogie musicale - serait plutôt la folie aux multiples visages: celle qui a poussé le bien nommé Tristan à pousser un geste inexplicable et d'une rare violence quand il avait 16 ans, celle qui habite un des amoureux plus que troublé de la belle Agathe, celle qu'on sent latente chez le psychiatre en chef de l'institut où travaille Pascal, celle de Rachel, l'intrigante qui souhaite devenir muse pour éventuellement s'approprier l'œuvre complétée, celle de la pureté aussi du geste créateur.

Certaines circonvolutions auraient pu être gommées, certains thèmes resserrés mais Paré réussit là où beaucoup auraient échoué. Le style reste alerte et fluide, malgré l'emploi du passé simple narratif qui, jamais ne s'essouffle ou semble forcé - sauf, bien sûr, quand l'auteur se moque gentiment du premier roman d'Agathe et de l'impossibilité patente d'y intégrer le dit passé simple. Les personnages sont bien campés et suffisamment nuancés (hormis Christophe, psychopathe assumé et volontairement dessiné à très gros traits) pour qu'on croit à cet univers pourtant assez inusité. Le lecteur se tapit avec intérêt dans l'ombre pour entendre les conversations que Tristan entretient avec Pascal lors de ses nuits d'insomnie. Il s'interroge aussi sur les limites d'un système médical sursaturé et d'une société instable, qui ne peuvent pas toujours faire la différence entre folie passagère et psychose dangereuse, entre thérapie et surmédication, entre les textes savants et la réalité vécue au quotidien. Un premier opus à la voix suffisamment originale pour qu'on en retienne le thème.

mercredi 22 avril 2009

L'Orchestre Youtube: post-concert

« Le monde réel, le monde virtuel et l’expérience de la rencontre. Pour nous, c’est un peu entre un sommet de musique classique et un rassemblement scout, conjugué à du speed dating ». C’est en ces termes que le chef d’orchestre Michael Tilson Thomas a présenté le YouTube Symphony mercredi dernier à une salle comble, au prestigieux Carnegie Hall de New York. C’est ce qu’on peut qualifier sans hésitation de postmodernisme!

Tous les musiciens ont été sélectionnés par vidéos et 3 000 n’ont pas hésité à transmettre leur répertoire d’audition de cette manière. Le jury en a ensuite retenu 200 et les internautes ont choisi ceux qu’ils considéraient suffisamment doués pour participer à l’événement. Le soir du concert, 96 musiciens - dont deux Canadiens, le vibraphoniste Gaël Chabot et le violoncelliste Stéphane Tétreault, 15 ans - représentaient fièrement plus de 30 pays. Pourtant, tous n’étaient pas des musiciens professionnels ou jeunes aspirants; dans les rangs, on retrouvait un chirurgien, un mécanicien, un joueur de poker professionnel et une adjointe administrative. Qui a dit que la musique classique était conçue exclusivement pour une élite!

Les cellulaires et les caméras vidéo étaient non seulement permis, mais fortement recommandés. Plusieurs assistaient d’ailleurs à un concert classique pour la première fois. Pendant le concert, ils ont transmis des vidéos à leurs amis, mis en ligne des extraits, ont partagé des alertes Twitter et tous semblaient ravis de leur expérience. Certains pleuraient et plusieurs ovations debout ont été accordées au cours de la soirée, notamment après la création de l’Internet Symphony No. 1 Eroica de Tan Dun. Décrite par le compositeur comme étant « un mariage arrangé comme jadis - arrangé par Google et YouTube », la soirée restera certainement gravée dans la mémoire de tous les participants. Une nouvelle façon d’auditionner à adopter par les grands orchestres?



dimanche 19 avril 2009

Plagiat

Bon, vous me direz que c'est un mot bien laid pour accompagner cette journée printanière et ensoleillée mais, coïncidence ou épidémie, plusieurs fois au cours des derniers jours, il a été question de plagiat dans mon entourage.

Certains auront peut-être lu, samedi dernier, l'article consacré à la question par Le Devoir. Avec le concours d'Internet et de ses multiples ramifications, en effet, rien de plus facile pour les étudiants de maîtriser un copié/collé plus ou moins habile. Certains sont sans vergogne et recopient entièrement l'information piochée à gauche et à droite; d'autres sont plus raffinés et pastichent le tout. Et, pour le correcteur, ce n'est pas toujours évident de savoir qui a dit quoi le premier.

C'est à la limite du paradoxal, soit dit en passant, qu'un quotidien publie un article sur le sujet parce que, très souvent, les journalistes repiquent, textuellement, les dépêches reçues des agences de presse (nombreuses, en cette ère de communication instantanée et d'information à la nanoseconde). Le plus souvent, la mention de la source est des plus claires (« selon l'agence France Presse » ou grâce à la signature « Reuters » en bas d'article par exemple), dans d'autres cas, ça tient plutôt du flou artistique. Pour avoir travaillé des deux côtés de la clôture, je peux vous affirmer qu'un organisme ne contient plus sa joie quand l'amorce du communiqué est reprise telle quelle. Cela signifie que les sous versés au rédacteur ont été bien investis et que le « message » est donc parfaitement passé. Mais où se trouve la ligne entre la liberté de presse et la manipulation d'information dans un tel cas? Autre zone difficilement identifiable.

Et puis, il y a le vol pur et simple, de textes. Il y a un an, j'ai eu la « joie » d'apprendre par une collègue pianiste belge que mes notes de programme pour le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen avaient été reprises par une société de musique de chambre. Deux mois après concert, elle était ravie de m'annoncer qu'elle m'avait lue, à Bruxelles, et que ça lui avait fait penser à moi. Euh? Évidemment, je n'étais pas au courant, aucune compensation (même symbolique) n'a été versée et je ne peux pas retrouver l'organisation en question, puisque cette collègue ne se rappelait plus qui avait interprété la chose. Au moins, mon nom y était associé. Depuis, j'ai décidé de garder mes textes professionnels sous clé et de les déposer sur un site à accès contrôlé.

Plus sournois que cela encore, peut-être, est le vol de textes à caractère privé: poèmes, textes de fiction, haiku, etc. que certains auteurs déposent sur leur site sans trop se méfier. Comme la plupart des blogueurs qui tiennent des journaux intimes ou extimes le font sous pseudo, difficile ensuite d'aller prouver le vol de matériel et l'identité réelle de l'écrivant. Le site d'écriture Les impromptus littéraires (qui propose à chaque semaine aux participants une nouvelle consigne d'écriture), dont je suis l'une des administratrices, a ainsi eu maille à partir avec un vol massif de matériel. La personne en question repiquait, sans aucune vergogne et bien sûr sans mention, tel texte dans son intégralité ou quelques vers. Des mesures légales ont été amorcées mais, malheureusement, là aussi, zone de flou total. Les hébergeurs ne peuvent évidemment pas savoir qui se cachent derrière l'un ou l'autre de leurs clients et ne procéderont à des retraits de sites que si le matériel est jugé pornographique ou fortement illégal. Inutile de le préciser, en contactant le propriétaire du site, on fait face à un mur de silence.

Si vous êtes à l'aise avec le pillage potentiel du contenu de votre blogue, aucun problème. Après tout, l'information est faite pour être partagée. Si vous souhaitez vous assurer que vos précieux textes n'ont pas été impunément pillés, vous pouvez vous inscrire (gratuitement) sur Fairshare (site anglophone uniquement) qui, grâce à votre url de flux RSS (ou atom ou Feedburner), vous alertera si votre matériel se retrouve sur un autre site. À bon entendeur, salut!

Quelques précisions légales ici...

jeudi 16 avril 2009

Le talent...

Cette vidéo circule ces jours-ci dans les boîtes de courriels et a été visionnée par plus de deux millions et demi de curieux éberlués dans les premiers 72 heures à peine (on parle maintenant d'un astronomique 12 millions). Susan Boyle, 48 ans, certes pas une beauté à la plastie parfaite, admet devant le jury blasé et un public qui ricane furieusement qu'elle n'a jamais été embrassée mais que son rêve est de suivre les traces de son idole, Elaine Page. Et puis, elle chante I dreamed a dream des Misérables et tout va basculer. Émotions assurées.

À visionner ici...

Daniel Barenboïm insiste


Le chef d’orchestre et pianiste israélo-argentin Daniel Barenboïm dirige aujourd'hui, à l'Opéra du Caire, un concert exceptionnel dans lequel il sera à la fois chef (dans la Cinquième de Beethoven) et pianiste et récitaliste.

Selon l’Agence France Presse, lors d'une conférence de presse tenue en marge de l'événement, il a déploré l’incompréhension « totale » existant entre Israéliens et Arabes, appelant ces derniers à se rendre à Tel-Aviv « pour se faire entendre ». Il a affirmé: « Ce serait tellement mieux si les Egyptiens, les Syriens, les Palestiniens, les Jordaniens, les Libanais, allaient à Tel-Aviv et expliquaient (...) et exprimaient leur point de vue. Ce n’est pas seulement pour mieux connaître la société israélienne, c’est pour pouvoir se faire entendre par la société israélienne, (et dire) ce qu’ils ressentent ».

Si Barenboïm continue de susciter la controverse, il cherche essentiellement à multiplier les liens entre les peuples, notamment avec son Western-Eastern Divan Orchestra (orchestre de Divan occidental-oriental, une allusion à Goethe), composés de musiciens israéliens et palestiniens. Il avait d'ailleurs proposé aux autorités du Caire un concert de son orchestre début 2009 mais la situation dans la bande de Gaza avait alors été jugée trop explosive.

Pour lire l'entrevue qu'il a accordé récemment au Daily News Egypt, c'est par ici...
Son site Internet...

mercredi 15 avril 2009

Annie Cloutier: Ce qui s'endigue


Deux conceptions, deux naissances, deux vies qui se croisent parfois, se heurtent souvent, servent de contrepoint l’une à l’autre, magnifient une déchirure, comblent un besoin criant d’être reconnues. Le pari d’Annie Cloutier de jumeler ces deux destins presque parallèles dans Ce qui s’endigue était audacieux. A-t-elle su le tenir? En partie.

Ce qui emballe, sans contredit, reste la force de son écriture : puissante, imagée, travaillée, somptueuse par moments, presque crue quand elle parle de sexualité, mais jamais réellement vulgaire, troublante lorsqu’elle évoque la maternité, touchante alors qu’elle aborde les multiples facettes de l’amour. L’auteure possède une voix unique, qui séduit, qui incite à laisser glisser les phrases sur soi, à les retourner entre nos lèvres, entre nos doigts.

Ce qui embête, c’est une série de légers irritants. Les termes néerlandais qui inondent les premiers chapitres brisent sérieusement le rythme, en nous forçant à faire des allers-retours entre le devant et le derrière du livre alors que plusieurs équivalences auraient été tout à fait acceptables. Le côté plaqué des juxtapositions (un paragraphe au sujet d'Anna, l'équivalent dédié à Angela) donne lieu à un échange de ping-pong vaguement étourdissant au début (on finit par se couler dans ce rythme imposé) et fait par moment très « étude de cas ». Les deux archétypes choisis m’ont semblé par moments un peu trop grossis, parce que jouant trop fortement sur les oppositions. Anna, petite fille parfaite, réalise une fois femme que sa vie est devenue vide de sens et cherche à s'étourdir dans son travail, dans les bras d’un amant, dans le réconfort de substances médicamentées. Angela, plus robuste, en révolte perpétuelle, travaille dans l'humanitaire, mais s'oublie dans la maternité.

Certaines incohérences temporelles flagrantes m’ont fait tiquer. L'auteure couvre une période de 90 ans avec son texte – choix vraiment nécessaire? – mais la société utilise toujours le courriel et les jeunes écoutent sans férir leur iPod. (Dans ce monde gouverné par l’émergence de nouvelles technologies, permettez-moi de douter.) Certains oublis langagiers familiers restent également totalement inacceptables. Annie Cloutier, qui possède une palette des plus fournies, fait se côtoyer, dans une même phrase, des termes recherchés et une expression en bon québécois. (Rappelons ici que l'action se passe dans les Pays-Bas et en Indonésie...) Les diverses étapes de corrections d’épreuves auraient dû gommer ces incohérences, qui irritent inutilement un lecteur qui ne demandait qu’à être séduit.

Comme la mer donc, mon cœur a oscillé; pourtant, je retiendrai essentiellement la qualité de l’écriture d’Annie Cloutier et surveillerai avec intérêt son prochain opus.

Les commentaires de lecture (multiples dans leurs interprétations) des autres collaborateurs de La Recrue se retrouvent ici.

vendredi 10 avril 2009

Soudoyer Dieu


Renée-Pier mène une vie comme tant d'autres, entre un travail plus ou moins inspirant de secrétaire et de longues séances d'entraînement. Elle qui a rêvé d'atteindre les plus hauts sommets en plongeon mais a dû y renoncer, noie ses doutes dans le dépassement de ses limites physiques. Une seule chose l'empêche de sombrer dans une certaine détresse: ses amies, confidentes mais aussi fières battantes. Un jour fatal de décembre 1989, la vie de Renée-Pier bascule irrévocablement, en même temps que celle d'Émilie, amie d'enfance, fauchée par les balles de Marc Lépine, le tueur fou de Polytechnique.

Avec ce premier roman, Thérèse Lamartine tente d'apprivoiser un univers trouble, qui sommeille en chacune de ceux et celles qui ont vécu la tuerie de près ou de loin. Ce qu'on prend d'abord pour une certaine faiblesse de Renée-Pier deviendra force. Un geste à la fois, un bouquet immaculé à la mémoire de sa Lili à la fois, elle se reconstruit. Le processus sera long, solitaire, en marge d'une société qu'elle ne peut plus saisir, avant qu'elle ne puise en elle la force nécessaire pour continuer d'avancer, même si plus jamais rien ne sera pareil.

Dans un style recherché, aux images travaillées, l'auteure plonge en son personnage, presque jusqu'au vertige. « Dans l'affliction, elle découvrait la poésie. La poésie, belle quand elle fait rêver ou voyager, dépayse, chante ou enchante. La poésie, grande quand elle révèle une expérience humaine jusque-là indicible, donne une substance, de la chair, à une chose qui n'en avait pas, cisèle un phénomène demeuré informe, met à nu un secret humain. » (p. 115-116)

Le livre est divisé en trois temps: « Le temps de l'avant » (qui aurait eu avantage à être resserré), « L'exil » (d'une grande poésie et d'une intensité troublante) et « La vie d'après » (légèrement convenu mais néanmoins bien mené). Dans un ton parfois tributaire d'un certain féminisme pur et dur (dans lequel je me suis moins reconnue), elle interroge, interpelle, propose des interprétations de ce geste mais aussi de cette relative indifférence avec laquelle plusieurs ont tenté d'occulter la violence de l'incident. Inutile de le nier, le 6 décembre 1989 restera gravé dans la mémoire des Québécois. Lamartine contribue, tout comme Denis Villeneuve, à mener ceux qui décident de la suivre vers une catharsis qu'on n'espérait plus.

lundi 6 avril 2009

Impressionnant

La voix humaine peut tout faire, absolument tout. Vous en doutez? Bon début de semaine à tous.

dimanche 5 avril 2009

Les retrouvailles


Très tôt, Hélène sent qu'elle aura à apprivoiser l'exil avant de pouvoir retrouver son coin de terre natal, celui qui fait partie intrinsèque de son être, la Gaspésie. Elle amorce des études à Québec comme hygiéniste dentaire puis enchaîne un diplôme en musique, se disant qu'elle pourra à la fois vivre de son travail et transmettre les bases de son art à de jeunes enfants. Avant de retourner chez elle, elle accepte de suivre un stage de trois mois à Vienne, qui fera irrémédiablement basculer sa vie. Elle y rencontrera l'amour mais réalisera aussi que, pour aller au bout de ses rêves, elle ne peut choisir de s'installer sur le bord de la Baie des chaleurs. Elle signe alors un étrange pacte avec son amoureux, négociant qu'après dix ans passés à Vienne, ils reviendront s'installer au Québec. Bien sûr, la vie n'étant jamais un long fleuve tranquille, elle aura à faire face à plusieurs remises en question.

Dans ce premier roman rondement mené, Julie Hubert nous fait voyager à Vienne la magnifique, à Salzbourg, en Gaspésie (qu'on aura rarement perçu à travers un regard d'une telle tendresse), mais aussi dans l'essence même de la narratrice, tiraillée entre ses souvenirs, les paysages de sa jeunesse et sa nouvelle vie qui la comble pourtant. Dans un style direct mais néanmoins évocateur, l'auteure trace un portrait tout en subtilité des premiers émois amoureux, des liens familiaux, de l'amitié, des questionnements liés à l'exil. L'auteure a elle aussi vécu l'exil, ayant épousé un Français et elle le raconte donc de l'intérieur, avec lucidité, sans pathos, le déracinement permettant à la fois de cristalliser les souvenirs mais de se propulser vers l'avant.

J'aurais bien sûr aimé des descriptions musicales plus fouillées (la narratrice étant pianiste) et j'ai rarement vu une couverture aussi kitsch mais j'ai été néanmoins suffisamment séduite par le récit pour souhaiter l'avaler presque d'un seul coup. En fermant le livre, je me sens tiraillée entre une pulsion incontrôlable de m'acheter un billet d'avion pour Vienne et le souhait de retourner en Gaspésie. La puissance des descriptions...

vendredi 3 avril 2009

Le temps...

Prendre le temps... Apprendrai-je un jour à dire « non », un mot pourtant tout simple: trois lettres dont deux fois la même? Mais, bon, oui, ce n'est pas toujours au point. J'enseigne, j'écris, je ne refuse jamais un projet stimulant (mais je devrais vraiment apprendre à refuser ceux qui entrent dans la catégorie « bof » ou pire, « beurk », il y a des limites aux concessions dites « alimentaires »). J’ai, tout comme plusieurs d’entre vous, une maison (très souvent en désordre), une famille (dont les humeurs des membres ne sont pas toujours faciles à gérer), un chien (légèrement névrosé mais qui, heureusement, aime la musique) et des amis (véritable soupape). Tous les dimanches soirs, j’hésite entre l’auto-flagellation (« Comment se fait-il que je n’aie pas eu le temps de tout faire? ») et un désir flagrant d’évasion (« À moi, Tahiti et Bora Bora! »).

Pourtant, s’il y a une chose que j’ai réalisée en gagnant de l’expérience (à défaut de sagesse), c’est que les choses dont nous sommes le plus fiers sont souvent celles qui nous ont pris le plus de temps. Quand j’ai commencé dans l’enseignement du piano, je m’attendais que – évidemment, quelle question! – les étudiants auraient travaillé pendant des heures et me démontreraient par leurs progrès éloquents la pertinence de mes conseils avisés. Hum… Après quelques semaines (mois, années) légèrement frustrantes, j’en suis venue à la conclusion qu’il faudrait que j’abaisse mes attentes. Oui, jadis autrefois, je pratiquais deux heures par jour (de gré ou de force, bien souvent, un jour peut-être je vous raconterai comment tricher le ssytème). Non, cela ne représente plus la réalité d’aujourd’hui.

Maintenant, j’ai pris exemple sur une copine qui me confiait ne plus rien attendre de son couple et choisir d’être surprise par les attentions de son conjoint (quand il y pense). Je n’attends rien des élèves mais espère toujours secrètement être surprise. Dès que je dénote un progrès, si minime soit-il, soit au niveau du rythme, de la lecture, de l’interprétation, de l’enthousiasme de l’élève, je me dis que la journée devient mémorable. Je le dis d’ailleurs régulièrement aux élèves quand ils me comblent de leur attention musicale : « Ça valait la peine de se lever ce matin! Wow, c’était super! » Je constate que ce relatif détachement me permet aussi de mieux investir le temps que je passe en la compagnie de l’élève. Je choisis plutôt de leur apprendre à travailler, une note, une mesure, une page à la fois, pour que, demain ou dans dix ans, ils puissent voler de leurs propres ailes.

Je prends aussi le temps de connaître leurs personnalités et leurs vécus, forcément étonnamment différents. J’en ai un particulièrement espiègle, une autre d’une intensité parfois troublante, une troisième légèrement exaltée, un quatrième plutôt silencieux mais qui a toujours des choses étonnantes à révéler quand on s’y attarde… La liste est longue et n’est probablement significative que pour moi, que pour eux. « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. » Je vous laisse, une élève m'attend. Au programme: le Concerto K. 466 de Mozart. Comment dire non à ça?

mercredi 1 avril 2009

Revu et amélioré

Il y a quelques semaines, le site de La muse affiliée a été avalé plus ou moins par mégarde par l'hébergeur, suite à une confusion de tarification absurde. Bref, du jour au lendemain, je me retrouvais avec une ardoise entièrement vierge. J'avais le choix entre baisser les bras (et laisser disparaître le tout vers un abysse aux profondeurs inconnues) ou me retrousser les manches et rebâtir le site de zéro. Alors, oui, j'ai choisi la seconde option, en profitant pour opter pour une intégration des divers médias.

Ainsi, dans l'article de Joëlle Coudriou sur le compositeur Zbigniew Preisner (qui a notamment signé la trame sonore de Bleu, Blanc, Rouge et La double vie de Véronique), j'ai intégré un jukebox qui permet d'écouter les différentes oeuvres citées mais aussi une copie de la partition des Marionnettes, une pièce accessible pour les jeunes pianistes. Ce virage « technologique » sera assumé dans les prochains billets également et, quelques numéros PDF à la fois, patiemment, je remonterai les archives du site. Baisser les bras? Pffff...

Le site de La Muse affiliée est par ici...