vendredi 6 mai 2011

Bouleverser les repères

J'avais très hâte de découvrir Conte crépusculaire du duo de choc Pierre Lapointe/David Altmejd à la Galerie de l'UQAM mercredi soir. Le travail de Pierre Lapointe - et surtout sa volonté constante de se maintenir en déséquilibre, à travers une série de projets qui lui permettent d'ouvrir son geste créateur - m'interpelle, les œuvres aériennes de David Altmejd m'envoutent, j'apprécie le travail du compositeur Yannick Plamondon et je peux toujours compter sur le Quatuor Molinari pour livrer une interprétation impeccable.

D'entrée de jeu, il y avait quelque chose d'assez troublant à pénétrer dans la salle d'exposition, en s'interrogeant sur l'évolution de la structure de plexiglas au cours de la représentation. De découvrir les artistes déjà présents - Pierre Lapointe et David Altmejd chacun dans une cache pratiquée dans le plancher de la structure soutenant l’œuvre, Émilie Laforest et Sacha Jean-Claude en attente de l'instant, le Molinari installé sur une scène connexe - permettait de presque palper l'intensité (plus intérieure chez Lapointe, plus ludique peut-être chez Altmejd).

Quand le conte initiatique s'est amorcé, j'ai rapidement réalisé que nous nous trouvions devant un objet artistique unique, entre opéra contemporain, théâtre de geste, concert, spectacle et happening en arts visuels. Cette citation d'Olivier Py, lue quelques jours auparavant, me semblait des plus pertinentes: « Le théâtre c'est plus de la douleur que du bonheur. C'est cette douleur qui est une joie. » En quelques mesures à peine, la musique de Yannick Plamondon, presque déchirante de beauté, à la fois dense et fragile, magnifiquement portée par le Quatuor Molinari et les deux voix de soprano, avait ouvert en moi une brèche. Quand Pierre Lapointe s'est levé pour chanter sa mort prochaine, mais aussi sa transfiguration, une présence poétique réelle s'est greffée à la partition, magnifiée par la structure d'Altmejd, qui tenait aussi bien du sarcophage que de la chrysalide.

À la sortie, les fans de Lapointe semblaient déçus. J'ai entendu quelques « On ne l'a presque pas entendu » et de nombreux « Je n'ai pas tout compris... » Peu importe au fond. L'audace du projet doit être saluée, même si un réel sentiment de work in progress (ce que le projet est, puisque l'oeuvre ne sera « terminée » que demain soir, lors de la dernière représentation) s'en dégageait. Cela exigeait certes un certain lâcher-prise (un lâcher-prise certain?) de la part du public, geste que bien peu étaient prêts à accorder, à s'accorder. Je suis sortie avec le regard trans-lucide, consciente d'avoir assisté à un événement unique, qui habitera mon imaginaire pendant encore longtemps.

En faisant une recherche dans les divers quotidiens afin de découvrir la perception de d'autres présents, j'ai pu constater que la plupart des critiques avaient été si déstabilisés qu'ils en avaient perdu leurs repères. Sylvain Cormier du Devoir écrit par exemple: « J'ai encore les dissonances des partitions du Quatuor Molinaro [sic] dans l'oreille droite. J'ai trouvé les tatouages sur le corps de Lapointe fort laids. Et pour une rare fois, j'ai été confronté à mes limites: c'est déjà quelque chose. » Philippe Rezzonico de Rue Frontenac avance quant à lui: « Au final, ce croisement hybride d’univers a pratiquement secoué mes repères comme Cabaret neiges noires, il y a deux décennies. C’est tout dire. » Aucun doute: un tel moment n'arrive pas tous les jours.

(Photo: Pascal Grandmaison et Frédéric Bouchard)

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