mardi 30 octobre 2012

Printemps spécial

Était-il trop tôt pour écrire de la fiction ayant pour trame de fond le tumultueux « printemps érable »? Était-il utopique de penser pouvoir s'extraire des secousses pour les intégrer à une trame autre, comme l'a par exemple réalisé Moebius en publiant une série de textes sur le 11 septembre (rappelons-le, dix ans après les événements)? Douze auteurs de la maison d'édition Héliotrope ont pourtant répondu présent à l'appel même si - ou peut-être parce que -, lorsque les plumes ont été trempées dans l'encre rouge, le réglement relevait plus de la pensée magique (celle des dirigeants entendons-nous) que de la réalité. Il faut saluer l'audace d'avoir voulu garder un souvenir indigné de l'événement, de le transformer en objet cohérent, attrayant (les textes sont accompagnés d'images signées Toma Iczkovits alias M'sieur Zen), que l'on souhaite garder. S'il rentre difficilement dans un sac à main, il peut néanmoins trôner sur une table à café, histoire de se rappeler que, au fond, nous n'avons pas réglé grand chose en tant que société.

Les nouvelles multiplient les tons et les points de vue: du journal extime/autofiction (« À la casserole » de Catherine Mavrikakis) au sain sarcasme (« La jeune fille et les porcs » de Nicolas Chalifour), en passant par l'impuissance de ceux qui ont dû se contenter d'observer le combat de loin (« Je n'étais pas là » d'André Marois, « Chelsea rouge » de Gail Scott ou « Colère et tremblement » de Michèle Lesbre). Certains ont réussi à se détacher suffisamment de l'événement pour raconter une histoire autre, Olga Duhamel-Noyer ( « La corde ») par exemple, les manifestations devenant simple contrepoint à une trame trouble. Si le livre n'en est pas vraiment un de dénonciation, cette dernière se lit néanmoins en filigrane. Ceux qui ont porté le carré rouge, tapé sur une casserole, pris part à une discussion musclée lors d'un souper familial pourront sans peine superposer leur propre trame narrative à l'une ou l'autre de ces histoires, celles de Simon Paquet (« L'inactiviste », course folle pour participer enfin à une manifestation, juste assez décalé) ou Carole David (« L'atelier rouge ») par exemple.

On retrouve surtout la voix, puissante, unique, des auteurs de la maison que l'on a appris à connaître, à aimer (« Autoportrait en militante » de Martine Delvaux, à la petite musique intérieure si particulière ou « Comme les Hell's » de Patrice Lessard, qui nous permet de retrouver certains personnages de ses deux romans, par exemple), en découvre avec plaisir d'autres (« On n'était pas invités » de Gregory Lemay), en une étonnante courtepointe (rouge) dont les pièces se complètent plutôt qu'elles ne se répètent.

«... tu comprends que le 13 février 2012, tu as cédé le pas à la foule. Tu t'es faite multitude, cortège, assemblée, régiment. Ton imaginaire pris en souricière par ce printemps, ta vie est devenue le stroboscope d'événements dont tu fais l'inventaire comme une ritournelle.
Tu n'es plus la même. Ton visage a changé. Voilà ce que tu vois.
Le printemps t'a réinventée. » (Martine Delvaux, « Autoportrait en militante »)

dimanche 28 octobre 2012

Javotte

Il existe une multitude de déclinaisons de l’histoire de Cendrillon : livres, opéras, ballets, dessins animés, suites… Mais une histoire ne possède-t-elle pas toujours une multitude de points de vue? Pourquoi le père de Cendrillon a-t-il épousé cette femme acariâtre? Pourquoi ses belles-sœurs sont-elles aussi cruelles? Et si, ces personnages aussi avaient droit de parole, n’étaient pas entièrement noirs? Voilà le pari que Simon Boulerice a pris avec Javotte, relecture du conte au 21e siècle. Javotte et Anastasie ont perdu leur père, leurs repères. L’aînée use (et abuse) de méchanceté pour faire taire l’absence, la cadette subit ses attaques, sans entièrement les comprendre, trop heureuse quand sa sœur lui accorde un peu d’attention.

Comme toutes les filles de son âge, Javotte est obsédée par le plus beau garçon de la classe, Luc, qui l’ignore bien sûr. Mais contrairement à ses consœurs, elle décide de répondre à l’indifférence par l’attaque, en se liant à la sœur de son prince charmant en un temps, et en détruisant la compétition (Carolanne, la petite parfaite au teint radieux) par tous les moyens, vivant ses premières expériences sexuelles avec le père de celle-ci. Mais même quand on se range « du côté sombre de la force », rien n’est jamais aussi tranché. Un coup du destin la forcera à revoir certaines priorités, à accepter qu’elle ne possède pas une emprise valable sur le monde qui l'entoure.

À travers des chapitres courts, qui rappellent le journal intime (dans lequel la narratrice prétend écrire quand une amie l’interroge, mais qui restera vierge), Boulerice réussit à nous faire passer du vague énervement à un certain attachement pour cette jeune fille en quête de sens, en quête d’elle-même. Au lieu de nous complaire dans la reconstitution de l’histoire de Cendrillon (qui porterait assurément aujourd’hui des Manolo ou des Jimmy Shoes plutôt que de vulgaires pantoufles de vair ou même de verre), peut-être aurions-nous eu au fond avantage à jeter un autre regard dans le miroir? Miroir, miroir, dis-moi qui a les plus grands pieds…

jeudi 25 octobre 2012

Leçon de poésie

Murray Perahia a démontré avec éloquence hier soir qu'il faisait partie de cette race, malheureusement en voie d'extinction, des grands artistes, toutes catégories confondues. Quelques mesures de Haydn, transmises avec une élocution irréprochable, ont permis de prendre la mesure de la profonde compréhension des œuvres privilégiée par Perahia. Chaque phrase est découpée, l'articulation réfléchie, les points de tension harmoniques méticuleusement préparés, le développement du matériel motivique devenant d'une limpidité presque confondante.

S'il a semblé prendre quelques instants pour s'installer dans le premier des Six Moments musicaux de Schubert et qu'on pourrait chipoter une seconde sur l'explosion sonore presque intempestive du cinquième, il a su transmettre toute la poésie du deuxième, dépouiller de toute scorie l'architecture contrapuntale du quatrième, et nous faire passer par toute la gamme d'émotions dans le dernier.

Plutôt que de chercher à renouveler la donne de la trop célèbre Sonate « à la lune », il a plutôt choisi d'en extraire l'essence, de la débarrasser de tout tic interprétatif, révélant les assises harmoniques du premier mouvement, faisant (enfin) sens du Menuet, toujours parent pauvre de ce triptyque aux mouvements extérieures devenus presque galvaudés.

En ouverture de la deuxième partie, Perahia avait programmé le Carnaval de Vienne de Schumann, trop peu joué, qui lui a permis de démontrer l'étendue de sa palette expressive, de la tendresse délicate, tremblante d'intériorité, du deuxième mouvement aux tourments passionnés du quatrième. Le scherzo pris à une vitesse plus assise permettait au dernier mouvement de s'émanciper en une course effrénée, jamais incohérente cependant, menant ces scènes croquées sur le vif vers une conclusion d'une inexorable évidence.

Si son Deuxième Impromptu de Chopin n'était peut-être pas aussi mémorable que sa lecture sur disque, son Premier Scherzo a renversé, entre folie à la violence à peine contenue et une section centrale suspendue, qu'on aurait voulu voir s'étirer pendant quelques pages encore.

Deux rappels ont été offerts en remerciement des applaudissements chaleureux: un Impromptu opus 90 no 2 de Schubert tout simplement parfait, grande leçon de pianisme concentrée en quelques minutes à peine et l'Intermezzo opus 119 no 3 de Brahms, pétillant comme les pages de Moskowski que son mentor Horowitz proposait jadis à son public.

Après le concert, j'ai attendu, patiemment, mon LP Mendelssohn sous le bras, dans l'espoir que, peut-être, ma route croiserait celle du maître.J'ai eu le privilège de lui serrer la main. (Il ne signe pas d'autographes.) Quand je lui ai expliqué pourquoi cet objet était si important pour moi, partageant même dans un moment de folie cette photo de moi prise devant la reproduction de la pochette, il a chaussé ses lunettes, un peu désarçonné par cette histoire. « Vous savez que cet album était le premier que j'ai enregistré avec orchestre? » Il a relevé l'année d'enregistrement (1975), l'air de dire que cela faisait si longtemps déjà, lui qui, pourtant, à 65 ans, possède encore la fougue et l'éclat dans le regard d'un jeune pianiste. Je suis rentrée chez moi, les oreilles pleines de poésie, avec la certitude que cette soirée resterait parmi celles dont je me souviendrai longtemps.

mardi 23 octobre 2012

Perahia demain

Il reste encore quelques billets pour demain soir... Si vous souhaitez vous préparer à l'avance, vous pouvez aller lire mes notes de programme ici...

Il y a joué une partie de ce même programme à Amsterdam. On peut l'entendre dans cette vidéo.


lundi 22 octobre 2012

Pendant la mort

Comment dire le deuil d'une mère, évoquer à la fois la culpabilité, les incompréhensions, la difficulté de continuer à vivre aussi bien que de se souvenir? Denise Desautels y réussit admirablement avec son recueil Pendant la mort, tantôt chuchoté, tantôt prolongement d'une écorchure, les vers finissant par se muer en prose, journal d'un apprentissage, de la vie à travers la mort de celle qui a donné la vie, justement.

Quelques passages à partager

« je veux écrire, mentir à distance
s’il le faut
devant ce mur de deuil » (p. 68)

« Parfois il n’y a rien. Aucune musique, aucun son. Que ce pur silence de ta mort qui a effacé en quelques secondes jusqu’à l’icône de ta voix. » (p. 85)


« Il y a parfois, comme ça, des musiques qui ont le pouvoir de dénouer les ténèbres, de faire tomber les pans d’obscurité derrière lesquels des sons inédits attendent, attendent. Tant que tu étais là, toutes les cantates, tous les
Stabat Mater pouvaient se profiler sur les murs tandis que nos phrases vagues allaient et venaient entre nous avant de s’éteindre mollement sur ton drap ou sur le rebord de ‘unique fenêtre de ta chambre. » (p. 94)
« D’ailleurs, elle a toujours aimé se souvenir, toujours préféré le souvenir, j’allais écrire : le regret, à l’événement lui-même. Comme si le présent, objet perdu d’avance dont il ne lui serait jamais possible de faire le deuil, elle le savait, n’avait été pour elle que matière informe, insensée, inutilement vécue, inutilement douloureuse, à laquelle seul le temps finirait un jour par donner une vie autre, une part à la fois métamorphosable et supportable d’existence. » (p. 97)

dimanche 21 octobre 2012

Amour d'adolescence

Ne me cherchez pas, ne m'appelez pas, mercredi soir, peu avant 20 heures. Je vivrai sans aucun doute une attente fébrile, quelques minutes avant d'entendre pour la première fois en concert Murray Perahia, de retour à Montréal pour la première fois depuis 1988. On pourrait penser que je suis devenue légèrement blasée après toutes ces années, que je ne possède en rien le profil de la groupie (la plupart des grands de ce monde - hommes et femmes - que je vénère sont malheureusement morts), pourtant, j'admettrai ici que Perahia est un amour de jeunesse.

Je l'ai découvert à travers son enregistrement des concertos de Mendelssohn, avec l'Academy of St. Martin-in-the-Fields (orchestre mythique auquel il est maintenant associé) sous la direction du légendaire Neville Marriner. Comme je travaillais le concerto en sol mineur, mes parents m'avaient offert le LP. Certains pourraient considérer l’œuvre « mineure », mais quand on aborde le concerto de l'intérieur, impossible de penser une telle chose.

L'interprétation m'avait saisie, bien sûr, inspirée, frustrée peut-être (comment peut-on atteindre une telle perfection à 14 ou 15 ans?) et l'objet lui-même avait capté mon imaginaire. Il avait suffisamment traîné pour qu'un jour, je sorte une feuille de papier à dessin, mes bâtons de sanguine et que je reproduise la pochette de l'album (pas trop mal, m'a confirmé une photo de l'époque retrouvée il y a quelques jours).

Depuis, j'ai bien sûr suivi la carrière du pianiste, ai écouté avec plaisir son Mozart, possède plusieurs de ses enregistrements Bach, et continue d'admirer la façon dont il transmet l'architecture d'une œuvre (il reste un spécialiste de l'analyse schenkérienne) sans que la musicalité, la respiration, l'émotion soient jamais sacrifiées. Vous en doutez? Écoutez-le ici, dans Bach et Mendelssohn.

Caroline Rodgers de La Presse a eu le privilège de s'entretenir avec lui.  
« Avec les années, j'ai réfléchi plus profondément à la musique et je pense que mon jeu a changé. Alors si vous voulez vraiment savoir qui je suis, venez m'entendre. Cela vous en révèlera plus sur moi que je pourrais le faire avec des mots. »

On peut lire l'article ici...

jeudi 18 octobre 2012

Mon arbre

Larkéo vient de déménager, histoire d'avoir plus d'espace pour accueillir ses photos - et celles de ses amies des cinq coins du globe, dont je fais partie. En octobre, notre mission était d'envoyer un arbre de chez nous. Ayant malencontreusement oublié ma caméra lors de mon passage dans la région d'Ottawa, alors que se déployait déjà le festival des couleurs automnales, j'ai dû me rabattre sur l'un des rares arbres qui avait revêtu ses habits rouges que j'ai croisés à Montréal. Vous pouvez aller faire sa connaissance ici, au milieu de ses amis.

J'admets que l'ombre portée sur la façade par cet autre m'a aussi beaucoup plu.
Photo: Lucie Renaud

mardi 16 octobre 2012

Dany Leclair aux Actualités littéraires

Ce matin, je m'entretiens avec Dany Leclair, la toute première recrue du mois, sur les ondes de CKCU-FM, 93,5 à Ottawa. Lors d'un entretien intimiste, il évoquera notamment ses impressions de Recrue (vous aurez droit à certaines révélations-chocs), mais nous entretiendra aussi de son lien à la littérature québécoise (qu’il enseigne au Cégep), de sa routine d’écriture et, bien sûr, de son deuxième opus, Le Saint-Christophe, disponible en librarie ces jours-ci.

Vous pourrez suivre le tout à 9h05 en continu. Si vous êtes au bureau ou dans la voiture à cette heure-là, pas de souci. L'émission sera disponible en baladodiffusion dès ce soir ici.

lundi 15 octobre 2012

La Recrue a cinq ans!

On se souvient toujours de la première fois… Il y a cinq ans exactement, le 15 octobre 2007, La Recrue du mois naissait.  Carole Beaudoin, qui tenait alors un blogue consacré à la littérature québécoise, avait contacté quelques collègues qui « lisaient québécois », avec cette idée folle de mettre en lumière les premières parutions d’ici. Quatre d’entre nous se joindraient sur le champ à l’aventure : Catherine Voyer-Léger (qui a par la suite assumé la rédaction en chef du webzine de janvier à août 2011), Julie Gravel-Richard (auteure d’un premier roman salué en 2008, Enthéos, qui vient de publier Soleil en tête, son carnet entrepris après qu’on lui ait annoncé qu’elle était atteinte d’une tumeur au cerveau), Venise Landry (qui fait encore partie des rédacteurs) et moi-même. Depuis, d’autres enthousiastes de la nouvelle littérature québécoise – tous bénévoles, soulignons-le – se sont intégrés à l’équipe, certains sur une base régulière, d’autres épisodique, ont poursuivi leur route. Après tout, les passions doivent être partagées!

Quand je suis montée à bord de ce train, je l’ai fait les yeux ouverts, les doigts croisés peut-être (pour reprendre le titre du roman de notre Recrue ce mois-ci, Jocelyn Lanouette), mais sans me projeter dans un avenir plus ou moins lointain. Après tout, comme le rappelle un proverbe gitan, « Ce n’est pas la destination, mais la route qui compte. »

dimanche 14 octobre 2012

Combustio

Les impondérables professionnels m'ont empêchée de lire Combustio, l'ambitieux nouveau roman de Gilles Jobidon, d'un seul souffle. Au fond, je me demande si les circonstances ne m'ont pas offerte la façon idéale d'y plonger, par petites bouffées, par paliers, par strates. En effet, la ligne narratrice foisonnante, comme celles des romans d'Umberto Eco, peut happer, mener le lecteur dans un tourbillon d'interrogations, l'empêcher d'une certaine façon de prendre le temps d'admirer chacune des facettes de cette histoire qui s'échelonne du 17e siècle à aujourd'hui.

On croit y suivre Jane Dix, jeune archéologue brûlée - dans plus d'un sens - par sa dernière expédition désastreuse en Amérique du Sud, qui accepte de travailler pour Sarah Mill, directrice du département des cas extraordinaires de la Lloyds, qui cherche à faire la lumière sur un triptyque représentant des scènes du grand incendie de Londres. Rapidement, nous réalisons notre méprise, des récits s'emboîtant les uns dans les autres, autant de fragments miroitants d'un kaléidoscope dont la splendeur  ne se dévoilera qu'à la toute fin, un peu de la même façon qu'un regard apprivoise la lumière si particulière d'une toile de Georges de la Tour, peintre dont il est ici abondamment question, ou la déstructuration de certaines compositions de Francis Bacon. En cours de périple, Jobidon nous propose également des incursions dans le monde du cirque, des assurances, du colonialisme, aussi bien que dans la psyché des personnages, en une composition d'une grande subtilité.
« Un livre à la trame éclatée, construite à la manière dont opère le cerveau, pour qui le présent, le passé et le futur sont les facette d’une même réalité. »

La plume de Jobidon, d'une rare élégance, touffue, souvent poétique, reste d'une remarquable précision. Les images évoquées demeurent d'une rare puissance évocatrice, les mots de l'auteur devenant ici autant de touches de couleurs, de détails sur lesquels on a envie de s'attarder, d'émotions que l'on tente de capturer. Une certaine connaissance du milieu des arts visuels permettra au lecteur de s'orienter avec plus de facilité dans ce musée virtuel. La vigueur du souffle de l'auteur saura sinon y pallier.

« Elle se rappelle de mémoire cette phrase que sa vieille amie lui avait dite à propos de la biographie de Sendre, celle que Manet lançait parfois en discutant de peinture et qui s’applique tout autant à l’écriture: “Faites tout faux et peignez à certains endroits quelques parcelles de vérité”. »

vendredi 12 octobre 2012

Das Dreyblatt

Parce que c'est vendredi, que la semaine a été folle, qu'elle est loin d'être terminée, mais que cela ne nous empêche pas de rigoler quelques minutes. Qui a dit que la musique classique était sérieuse en toute circonstance? Garrick Ohlssohn, Gina Bachauer et Alicia de Larrocha nous prouvent le contraire, avec cette (ré)interprétation d'une page du petit-fils Bach, Wilhelm Friedrich Ernst.

jeudi 11 octobre 2012

Art et musique baroques

L'année dernière, lors de ma série de conférences pré-concert pour Arion, j'avais fait sauter les barrières entre commedia dell'arte et musique. Demain, samedi et dimanche, je poursuis mon opération rapprochement entre les formes artistiques et traiterai alors des liens entre peinture et musique baroques, parce que, malgré les apparences, musique et art – qu’on le décline en peinture, en sculpture ou même en architecture –  sont deux muses jumelles, qui refusent de s’encombrer des mots pour transmettre lieux réels, paysages rêvés, pages d’histoire, sensations, émotions... ou même l'indicible.

Bernardo Strozzi, Ératosthène enseignant à Alexandrie (MBAM)
Déjà, on ne peut ignorer un vocabulaire commun entre la musique et l'art, que l’on pense aux termes composition, style, tension, équilibre, forme, texture, mais surtout à celui de la couleur.

Dès le 16e siècle, Arcimboldo avait établi un système d'équivalences entre les notes de la gamme et les dégradés de couleurs, du noir au blanc. En 1740, le jésuite mathématicien Louis-Bertrand Castel a tenté de relier la gamme tempérée telle que nous la connaissons aujourd’hui au spectre chromatique, en utilisant comme points d'ancrage les couleurs primaires (rouge, jaune, bleu) et les notes de l’accord parfait. Isaac Newton et Goethe ont eux aussi travaillé sur le sujet. En 1895, le Britannique Wallace Rimington a même conçu un orgue à couleurs, dispositif constitué d'une boîte éclairée de l'intérieur et munie de trous recouverts de verre coloré, sans oublier le clavier de couleurs du compositeur Alexandre Scriabine, utilisé dans son Prométhée. Plusieurs compositeurs associaient aussi des couleurs aux tonalités. Ainsi, pour Beethoven, si mineur était associé à la couleur noire.

On peut aussi, aussi bien en musique qu’en peinture, parler de rythme, de mouvement. (Ce n'est sans doute pas un hasard que c'est ainsi que l'on nomme les subdivisions d'une même œuvre.) On peut même avancer que l’adhésion à une tonalité donnée (la majeur, majeur) peut trouver un écho en peinture, alors qu’une couleur dominante habite un tableau, qu’un travail de la lumière permet de créer une atmosphère définie, que le choix des dégradés permet à l’œil de rester dans une même émotion.

Comme les concerts, qui mettront en vedette Stefano Montanari (dont l'interprétation énergique des Quatre Saisons de Vivaldi m'avait éblouie il y a deux ans), se donnent Salle Bourgie, une salle faisant partie du Musée des beaux-arts de Montréal, j’ai songé qu’il serait naturel de m’appuyer sur les œuvres baroques italiennes de la collection permanente du musée pour mieux saisir les parallèles entre art et musique. Retrouvez-moi sur place si vous le désirez. Tous les détails techniques ici...

lundi 8 octobre 2012

Totempoésie

J'ai passé un 24 heures plein de mots dans la région d'Ottawa. En ville pour enregistrer une émission de radio (une co-animation) avec Marius Tremblay, homme de la Renaissance qui, selon les époques, a été compositeur, auteur et politicien (en plus de peindre), j'en ai profiter pour assister au spectacle (gratuit) Totempoésie, mettant en lumière les textes de Claude Beausoleil (poète de la cité de Montréal), Yolande Villemaire, Antonio d'Alfonso et Caroline Rivest, auteure d'un premier recueil, Poète-Ninja, paru en 2010, prix des lecteurs du Festival de poésie de Montréal en 2011.

Nous étions fort malheureusement très peu nombreux, le spectacle Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent faisant salle comble pour un troisième soir d'affilée au Centre national des arts au même moment, sans compter un autre spectacle de poésie, dans une autre salle de la Maison du citoyen de Gatineau, centré autour de Vivaldi celui-là. (Pour quand le don d’ubiquité?) L'oralité de la poésie réussira-t-elle enfin à toucher un nouveau public? On pourrait l'avancer.

Les auteurs ont su transmettre leurs textes avec conviction, qu'ils soient soutenus par le battement d'un tambour des Premières Nations ou portés par le silence attentif du public. En pensée, on y aura visité le grand Nord (Caroline Rivest), retrouvé Jack Kerouac et Billie Holliday (Claude Beausoleil), plongé dans un univers onirique et pourtant incarné (Yolande Villemaire), vécu la douleur de l'immigration de l'intérieur (Antonio d'Alfonso).

La tête encore pleine d'images, j'ai pénétré le lendemain après-midi dans la Maison des auteurs de Gatineau, une demeure ancestrale magnifique, sur le bord de l'eau, pour écouter ces mêmes voix autrement, évoquer l'avenir de la poésie, la nécessité de s'unir entre régions pour que les voix d'ici soient entendues, sur les détails du travail de création lui-même. Une minute, j'ai envié la vitalité bouillonnante de la scène locale, le sentiment de camaraderie qui animait tous ces poètes présents, prêts à écouter l'autre, à poser un geste concret pour que toutes les paroles puissent être entendues. Inspirant!

Je ne saurais trop vous recommander le site Voix d'ici, qui vous permet d'entendre les auteurs québécois lire leurs textes. Laissez-vous porter ici...

vendredi 5 octobre 2012

Dico, mon ami

La 4e journée québécoise des dictionnaires proposait hier aux participants d'un colloque international (sous la responsabilité de Monique C. Cormier) une réflexion sur la mutation des dictionnaires, du papier au numérique. Comme d'autres sans doute, j'ai appris à lire dans Mon premier Larousse, un été, sur le quai, sous l'arbre, dans ma chambre, fascinée par les mots liés aux images, par les voisinages sur une même page. Le livre m'accompagnait partout, m'a permis de déchiffrer tous ceux passés entre mes mains depuis.

La première communication de la journée était donnée par l'invité d'honneur Alberto Manguel, à qui l'on doit le magnifique La bibliothèque, la nuit et le Dictionnaire des lieux imaginaires, qui nous a entretenu, dans un français impeccable (langue apprise au lycée de Buenos Aires) des mots, des dictionnaires, bien sûr, mais d'un ton dénué de toute froideur, avec lyrisme et tendresse plutôt.

Il a ouvert son allocution par ces mots: « Sur le chemin de la tombe, nous sommes condamnés à la perte - de la jouissance, des amis, de la mémoire - et les dictionnaires nous protègent de l'oubli. » Ces livres, ces « anges-gardiens d'une bibliothèque », ces « objets magiques aux pouvoirs mystérieux »,  nous permettent d'identifier les choses qui nous entourent, mais aussi de devenir véritablement auteurs de notre propre vie. « Les mots sont le commencement de tout », a-t-il rappelé,  « Dieu est un auteur et le monde est un livre ». Véritables biographies de nos vies, d'une époque, les dictionnaires sont des « talismans qui nous protège de l'oubli », car « perdre, disperser, oublier: tel est notre lot ».

Le moment a passé trop vite et donnait une furieuse envie de se plonger (ou replonger) dans un texte de ce véritable citoyen du monde. Quelques heures plus tard, quand son roman Tous les hommes sont des menteurs a croisé ma route dans une bouquinerie, en parfait état, j'ai compris qu'il m'attendait.

Daniel Lemay de La Presse a visiblement lui aussi été sous le charme. On peut lire son article ici...

mercredi 3 octobre 2012

Bondye konn bay men li pa konn separe

Maxime McKinley
« Maxime McKinley est un des plus intéressants compositeurs de sa génération. Peinture, littérature, philosophie, poésie et musique tissent une toile éclectique dans la tête de ce créateur », écrivait Guy Marceau, dans Paroles & Musique en 2006. Étudiant de Michel Gonneville au Conservatoire de Montréal et d’Isabelle Panneton à l’Université de Montréal, il s’est également perfectionné à Paris auprès de Martin Matalon, en plus de suivre des cours de maître ou particuliers avec Hugues Dufourt, Peter Eötvös, Kenneth Hesketh, Philippe Leroux, Armando Luna et Bruno Mantovani.

Prix d'Europe de composition 2009 (Prix Père-Fernand-Lindsay), onze fois primé au concours national Jeunes compositeurs de la Fondation SOCAN (dont le Grand Prix John-Weinzweig  ex æquo en 2011), Maxime McKinley écrit pour des ensembles et organismes d'horizons très variés. Cette fois, à l’invitation de Kent Nagano, il joint son langage de compositeur contemporain à celui de DJ Champion dans une œuvre hybride unique, pour platines et orchestre, qui s’articule autour d’une série de marches classiques, de William Byrd (The Bells) à Stravinski (L’histoire du soldat) et Prokofiev (L’Amour des trois oranges et « Montaigus et Capulets »), sans oublier les incontournables marches nuptiale de Mendelssohn et slave de Tchaïkovski.

«  On parle ici de la rencontre de deux univers, dont il faut mettre en place la complémentarité, explique McKinley en entrevue. Les “muscles” musicaux  de DJ Champion sont développés de façon entièrement différente des miens. Il faut mettre à profit le meilleur de nos deux univers et canaliser le tout dans une même direction. » S’il connaissait son nouveau collaborateur en tant que guitariste (un élève lui ayant apporté un jour une de ses partitions), McKinley s’est tout de suite plongé dans l’univers de DJ Champion : « Je voyais la différence entre nous, mais aussi les points de rencontre. » Les langages complexes des deux créateurs ne peuvent se résumer en une simple opposition. Tous deux désarticulent le rythme, multiplient les ruptures, se servent de la pulsation, mais de façon détournée. 

lundi 1 octobre 2012

Journée internationale de la musique

Aujourd'hui, 1er octobre, journée internationale de la musique, prenez le temps de vous arrêter une seconde et de prendre conscience de la place qu'occupe celle-ci dans votre vie. Que vous soyez musicien, chanteur, professionnel ou amateur, mélomane fervent, fan de hip-hop, de jazz, de musique contemporaine, peu importe. Cédez aux charmes de vos musiques préférées ou, mieux encore, soyez aventureux et découvrez-en de nouvelles!

Ce pourrait par exemple être Nation Ruckus, un groupe de hip-hop d'ici qui déménage et dont le clip Against the Wall a passé une partie de l'été dans les Top 5 de Musique Plus, qui a offert un show d'une grande générosité lors du lancement de son premier album, Boombox Manifesto, mercredi soir dernier. (Vous pouvez télécharger gratuitement sur leur site The Pre-Tape.)

Vous pourriez aussi réserver votre soirée de mercredi pour entendre Magnitude6 qui propose, à la Maison de la culture Mont-Royal à 20 h, un concert gratuit composé d’œuvres de Dan Becker, Frans Ben Callado, David Sanford, les Brecker Brothers, Sylvain Piccard et Frank Zappa. Un programme éclectique comme je les aime!

En partage, un pur joyau, le deuxième Moment musical de Schubert, interprété par Radu Lupu.