vendredi 30 mai 2014

Hate Radio: frontal

« Il y a des choses innommables. » Le spectateur qui, casque d’écoute en main, s’installe d’un côté ou de l’autre du cube reproduisant la station de Radio-télévision libre des mille collines (RTLM), comprend les enjeux de la reconstitution du metteur en scène suisse Milo Rau. Pourtant, rien ne le prépare exactement au direct en plein visage qu’assène Hate Radio.
D’entrée de jeu, il est confronté à des témoignages bouleversants de survivants (incarnés par des acteurs, projetés sur les murs extérieurs du studio, pas encore dévoilé). Des mots simples, massue, qui évoquent l’horreur la plus pure, l’abjection dans ce qu’elle a de plus vil, de plus universel. « C’était des mots; c’était irréel. »
Sur un extrait de la Septième Symphonie de Bruckner, qui avait troublé Hitler profondément, quintessence même selon lui du germanisme, on apprend la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana (avec aussi à son bord celui du Burundi Cyprien Ntaryamira), dont l’avion est abattu par un missile le 6 avril. Le durcissement des positions est inévitable et les animateurs de RTLM deviendront les porte-étendards d’une radicalisation idéologique, les Hutus s’arrogeant le droit de se débarrasser de ces «cafards» de Tutsis.
Sur scène, quatre comédiens endossent les rôles de trois animateurs vedettes – Habimana Kantano, Valérie Bemeriki et Georges Ruggiu, Belge d’origine italienne – et du DJ qui, derrière sa console surmontée d’une improbable vierge clignotante, fait jouer les disques et prend les appels des auditeurs. Une radio-poubelle interactive d’une troublante actualité, dans laquelle le message haineux est transmis avec le sourire – sinon sur fond de franche rigolade –, entre un air de souk, I like to move it de Reel 2 Real (chanson emblématique de l’année 1994) ou Rape Me de Nirvana qui, en moins de trois minutes, résume le propos de la pièce. 
Représentations ce soir et demain soir, complètes, mais en vous présentant sur place, vous pourriez trouver une place.

mardi 27 mai 2014

Mellissa Larivière: de toutes les couleurs

Mellissa Larivière est l’une de ces femmes n’ayant pas froid aux yeux. Interprète, créatrice, elle est reconnue pour ses initiatives offrant une visibilité essentielle à la relève artistique, dont Zone Homa, festival qui, au fil des ans, a su rallier les publics de toutes allégeances. L’OFF.T.A lui a proposé une carte blanche qui s’est transformée au fil des discussions et des conversations en « soirée qui goûte le mauve », couleur préférée de la codirectrice du festival, Jasmine Catudal.
« C’est un beau cadeau que m’a offert Jasmine d’organiser une soirée où il y aurait plusieurs artistes aux tendances à la performance et au théâtre», explique Mellissa Larivière en entrevue. D’entrée de jeu, on a choisi d’ignorer les contraintes trop strictes du spectacle traditionnel ou le traitement cabaret. «Il y avait ce goût d’offrir un instantané, de présenter ces artistes, de laisser quelque chose. Nous trouvions que le mauve était un beau clin d’œil au kitsch, une couleur que les gens ne portent pas souvent. »
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La Soirée qui goûte le mauve se tient demain aux Écuries. Plus d'info ici...

dimanche 25 mai 2014

Sad Sam Lucky

Srečko Kosovel, le «Rimbaud slovène», demeure une icône qui, à travers plus de 1000 poèmes, a su se renouveler, tout en transcendant les limites de l’impressionnisme, de l’expressionnisme et du constructivisme, les teintant de touches dadaïstes, surréalistes ou futuristes, souvent ironiques, troublantes de contemporanéité.
Le sujet se révèle donc idéal pour Matija Ferlin, artiste inclassable, qui carbure aux expériences transdisciplinaires et multiplie les projets atypiques. «Un kaléidoscope du macrocosme / est le microcosme», écrivait Kosovel. Cela pourrait résumer d’une certaine façon la démarche de Ferlin qui, en proposant un dialogue entre l’œuvre du poète slovène et son propre parcours, trace un étonnant portrait de la création au quotidien, des affres à l’exaltation.
«A lot of work awaits me. Isn’t that cheerful?» (Beaucoup de travail m’attend; n’est-ce pas réjouissant?) Cette strophe de Kosovel ponctuera chaque tableau. Si Ferlin reproduit certains des mêmes gestes (prendre quelques feuilles imprimées de poèmes, les disposer minutieusement sur la table, les brocher, boire une gorgée d’eau), les tonalités demeureront néanmoins hautement contrastées.

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Le FTA bat son plein! Matija Ferlin présente son autre spectacle, Sad Sam Almost Six ce soir et demain, 19 h au FTA.

vendredi 23 mai 2014

C'est pas facile d'être une fille

Mécanique générale nous offre ce printemps deux albums qui combleront l’amateur de bande dessinée. Si Cumulus de Guillaume Perreault se lit comme une fable, C’est pas facile d’être une fille, Bach (Estelle Bachelard) sait quant à lui trouver le ton juste pour tracer un portrait aussi peu complaisant que possible de la jeune femme d’aujourd’hui.
Si la couverture rose nous laisse croire à un énième détournement de la chicklit, on se rend compte en quelques planches qu’il n’en est rien. L’auteure possède un très beau coup de crayon, mais surtout un sens très aiguisé de l’observation.

Estelle nous ressemble indéniablement, que l’on veuille l’admettre ou non. Qu’elle ne sache pas quelles paires de chaussures apporter en vacances, qu’elle passe des heures à se préparer avant une sortie (Charles, son copain, est bien sûr alors endormi depuis belle lurette), qu’elle envie l’élégance des Parisiennes lors d’un voyage au point de négliger la découverte de la ville pour écumer les boutiques ou qu’elle fasse signer sa mijoteuse par Ricardo au Salon du livre, on rit un peu d’elle, mais surtout beaucoup de nous.

Si on peut d’abord être tentée de qualifier Estelle de « superficielle » (elle fait par exemple une montagne d’une simple coupe de cheveux), ses réflexions nous démontrent qu’elle est aussi capable d’un recul salutaire, ce qui permettra à ces messieurs qui oseront feuilleter l’album de ne pas se sentir largués, mieux de se sentir soutenus dans cette difficile recherche de la complicité avec cette étrange chose qu’est devenue la femme moderne.

jeudi 22 mai 2014

Un concert rempli de surprises

Il faut se méfier des a priori. Pour son dernier concert de la saison, l'Orchestre de chambre Appassionata juxtaposait un concerto pour piano de Mozart à la Deuxième Symphonie de Beethoven et au Tombeau de Couperin. Je me faisais une joie d'entendre le Concerto K. 488 et son sublime mouvement lent, une des pages les plus déchirantes du répertoire, n'étais pas certaine que la Deuxième de Beethoven me convaincrait et serrais les dents à l'avance pour le Ravel, que l'OSM joue et rejoue à chaque saison et qui m'indiffère profondément. C'est du moins ce que je croyais et évoquais même avec l'amie qui m'accompagnait quelques minutes avant le concert. Erreur sur toute la ligne...

Quelques secondes ont suffi pour que je me rappelle combien la hautboïste Josée Marchand était une musicienne exceptionnelle, mais aussi que je cède unilatéralement à la lecture de Daniel Myssyk. Plutôt que d'être noyée dans une masse orchestrale imposante, chaque ligne du Tombeau de Couperin ressortait avec une clarté décuplée, les textures devenant aériennes, les articulations limpides et les couleurs translucides.  La moindre respiration avait été étudiée, comme en ont par exemple témoigné les fins de phrase adroitement calibrées du Menuet. Le tempo très assis de la Forlane permettait au Rigaudon final de se déployer, frais et éclatant. Une impression de découvrir la pièce pour la première fois, d'enfin comprendre l'hommage que Ravel avait voulu rendre aussi bien aux clavecinistes de jadis qu'aux amis disparus au front.

L'introduction orchestrale du Concerto de Mozart a confirmé que Myssyk entretient une conception opératique, jamais mièvre, des pages du compositeur. Les phrases respirent, l'atmosphère est établie en quelques gestes tout au plus. L'entrée du piano se fera malheureusement avec moins de douceur et de subtilité, chaque note se trouvant étrangement isolée de la précédente, comme si David Jalbert avait voulu sculpter chacune d'entre elles, peut-être afin de s'assurer qu'elles seraient adéquatement projetées dans la salle. Ce découpage accru aurait sans doute été nécessaire dans une grande salle, à l'acoustique imprécise (comme la Salle Wilfrid-Pelletier), mais donnait l'impression ici de forte surjoués. Pourtant, les passages piano et même mezzo-piano ne manquaient aucunement de subtilité et coulaient de façon naturelle. Avait-on ici affaire à deux visions différentes d'une même oeuvre, non complémentaires?

L'après-entracte était consacré à la Deuxième Symphonie de Beethoven. Les chefs ont souvent la tentation de la traiter comme le prolongement d'une certaine esthétique mozartienne, même si elle est contemporaine du Testament d'Heiligenstadt. Daniel Myssyk la conçoit plutôt comme préfigurant l'énergie ravageuse de l'« Héroïque », tous les éléments qui feront la marque de commerce de Beethoven étant déjà présents: scherzo à part entière, travail sur les oppositions de nuances, implacabilité de la rythmique... On note aussi un remarquable travail sur les nuances, les sforzandos se révélant aussi bien éléments de surprise que soutien - ou détournement - agogique. Le son demeure toujours rond, jamais forcé, les crescendos parfaitement dosés (quelle belle montée que celle vers l'apex du deuxième mouvement, juste avant le retour du thème principal!), chaque thème se voit octroyer une personnalité distincte. 

On sort du concert en se disant que même les œuvres qu'on croyait ne plus pouvoir entendre n'ont pas fini de révéler leurs secrets. Il suffit parfois d'un guide qui sache en enlever les scories...

mercredi 21 mai 2014

Improviser, firent-ils

Une très belle journée passée en compagnie des six candidats de la première édition du Prix d'improvisation Richard Lupien et de Gabriela Montero. 

Les quatre défis étaient intéressants, même si en apparence plutôt contraignants: une série de variations sur Die Forelle (La truite) de Schubert, des pastiches Bach/Handel, Chopin/Schumann et Prokofiev/Chostakovitch du thème de Schindler's List (choix particulier compte tenu que quatre des six étaient israéliens), une transition entre les thèmes d'Un canadien errant et des Moulins de mon cœur de Legrand et une improvisation « libre » qui devait prolonger l'atmosphère suggérée par une historiette au sujet d'une longue solitude rompue par l'arrivée d'une petite fille qui récite un haïku parlant de gros chat s'éveillant à l'amour. Cela a par exemple inspiré une utilisation du thème de la « Pathétique » de Tchaïkovski brillante à Yoni Leyatov. 

Mon préféré, que je souhaitais voir gagner même avant qu'il ne joue une seule note, Serhiy Salov, qui a démontré toute la profondeur et l'intelligence de son jeu, a donc réussi l'exploit de faire un doublé (après avoir remporté l'édition 2004 du CMIM). Je réécouterai assurément le tout dès que ce sera disponible en rediffusion sur Medici.tv, ainsi que la prestation de Yakir Arbib, que j'ai ratée, car j'étais entre la salle et chez moi, mais avec lequel j'ai eu le plaisir d'échanger, hier soir, après le concert de Gabriela Montero.

Cette dernière nous a démontré avec brio et finesse pourquoi elle était la « reine de l'improvisation ». Elle a transcendé admirablement les limites de thèmes connus (Star Wars, La folia, L’hymne à la joie...), a réussi à ébaucher de petites histoires complètes à partir d'indications plus abstraites du public (l’histoire d’une vie, un clown en amour avec la lune ou encore ces trois nains de jardin qui se mettent à danser au clair de lune) et a livré une improvisation d’une grande tristesse sur le Venezuela. D'ailleurs, quand j'ai fini par me rendre à l'arrière-scène avec mon ami après le concert, nous avons pu entendre un groupe de Vénézuéliens chantant un air traditionnel, en cercle autour de la pianiste... Il y avait là quelque chose d’assez magique (et celle qui était « soliste » avait une voix magnifique). S'est ensuivi un bel échange avec la pianiste, que j'avais interviewée en mars, notamment au sujet de la douleur de savoir son pays sous le joug d'un dictateur.
 

mardi 20 mai 2014

Turandot: un feu roulant

Photo: Yves Renaud
Graeme Murphy a peut-être réussi l'impossible: mettre sur pied une mise en scène d'opéra si efficace qu'elle puisse fonctionner peu importe où, peu importe la distribution. Venant du monde de la danse, il a posé un regard entièrement renouvelé sur la notion même de la mise en espace, de la gestion du mouvement et de la scénographie. Oui, par moments, c'est un peu tape-à-l’œil et cela ressemble à un  « show de boucane », mais on ne s'ennuie pas une seule seconde, trop occupé à regarder les costumes, à scruter les mouvements des choristes (fort bien préparés au demeurant par Claude Webster), à saluer la dextérité avec laquelle Ping, Pang et Pong (Jonathan Beyer, Jean-Michel Richer et Aaron Sheppard) semblent glisser sur la scène, s'enrouler de parchemin ou se laisser porter par ceux-ci quand ils deviennent d'étonnantes balancelles, à guetter la prochaine extravagance de ce deus ex machina d'une diabolique efficacité. 

Photo: Yves Renaud
Oui, on pourra trouver ridicule que l'empereur soit juché au-dessus d'une structure immense, qui ne peut que rappeler le personnage de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett, ne pas comprendre pourquoi le costume de Timur, père de Calaf, semble sorti d'une production des Dix commandements ou trouver la gestuelle de Kamen Chanev (Calaf) étrangement statique quand il tente de répondre aux énigmes alambiquées de la cruelle Turandot. Pourtant, on se prendra au jeu, en se disant que Wagner aurait sans doute été plus que troublé par cette nouvelle façon d'approcher la Gesamtkunstwerk, assurément très 21e siècle. Bien peu d'endroits ici pour se « poser » en tant que spectateur, laisser la musique de Puccini se stratifier en nous (sauf peut-être lors du dernier air de Liu). Nous sommes à l'ère du 2.0 et oublions souvent de regarder les surtitres, l’œil (presque trop) stimulé par ce déploiement fastueux, digne de la fascination qu'exerçait jadis le « cinéma des attractions ».

Photo: Yves Renaud
La distribution est sans faiblesses. Si Galina Shesterneva en met parfois un peu trop côté vocal, elle campe une Turandot implacable jusqu'à ce qu'elle accepte son amour pour le prince. Kamen Chanev en Calaf dispose d'une voix puissante qu'il n'a pas eu besoin de pousser, mais semble bouger avec moins d'aisance que d'autres. La reine de la soirée au niveau vocal demeure incontestablement Hiromi Omura en Liu (la foule ne s'y est pas trompée et l'a ovationnée plus longtemps que les deux chanteurs incarnant les rôles principaux), absolument impeccable tant vocalement qu'au niveau du jeu. L'Orchestre métropolitain, efficacement mené par Paul Nadler, s'est révélé à la hauteur et nous a même offert quelques moments de réelle émotion.


  

Peut-être jamais

Comme si de rien n’était adoptait une forme entre recueil de nouvelles, novella et roman. Quatre protagonistes, quatre moments-clé, soulignés un peu trop fortement par un narrateur omniscient, ce qui avait alors un peu freiné mon enthousiasme de lecture. Je n’émettrai aucune réserve de la sorte ici, alors que Maxime Collins choisit de se concentrer sur le personnage de Gabriel, le suivant sur une période de 17 ans, de 2003 à 2020. Comment réussir à transmettre son évolution dans le temps? En le retrouvant une fois par année, au tournant de l’année, moment charnière où même les plus insouciants feront un retour sur eux-mêmes : motivations, déceptions, amours qui se nouent ou se dissipent, amitiés qui résistent ou non au passage des ans. Le processus aurait rapidement pu devenir artificiel, mais il n’en est rien. Le lecteur accepte l’ellipse temporelle sans sourciller, en témoin consentant, comme peut l’être un ami que l’on ne voit pas souvent, mais avec lequel on a l’impression de poursuivre une même conversation continue.
Tout comme les personnages de Comme si de rien n’était, Gabriel se cherche. Il s’interroge sur son identité sexuelle (bi ou homo), son avenir professionnel, les liens qu’il entretient avec ses amis. Il est surtout rongé par l’amour qu’il éprouve pour Luc, qui l’asservit, sexuellement, mais aussi émotivement. Prêt à tout pour conserver l’amour de celui qu’il croit l’homme de sa vie – même quand celui-ci le trompe ouvertement –, il est prêt à tout accepter pour une bribe d’amour, une caresse. « […] mon ventre se contractait et j’avais envie de vomir dès que je pensais à un autre homme. Il n’y en aurait pas d’autres. Plus jamais. Il n’y avait que Luc. Le sexe avec Luc, la vie avec Luc, l’amour de Luc. » Et puis, un soir, alors que tout semble de nouveau possible, la vie de Gab bascule, irrémédiablement.
Maxime Collins sait indéniablement comment raconter une histoire, camper un personnage – qu’il lui ressemble ou non n’a ici aucune importance –, établir une atmosphère en quelques lignes. Certains seront peut-être rebutés parce que le narrateur évoque ouvertement sa vie sexuelle. Ils se priveront d’un indéniable plaisir de lecture.

dimanche 18 mai 2014

Tournants

Une vie est faite de tournants, sans que l'on réalise sur le coup que l'on vient d'en prendre un. Je suis venue au journalisme en fondant La Muse affiliée en septembre 1998, magazine de pédagogie musicale qui tentait de palier à l'isolement que tous les professeurs d'instrument (dans ce cas-ci, particulièrement ceux affiliés à l'École Vincent-d'Indy) ressentent à un moment ou l'autre. Un soir comme un autre, je rentrais chez moi quand mon œil a été attiré par cette couverture d'un magazine dont j'ignorais tout, qui en était dans sa troisième année de publication.

Je ne savais pas qui était l'artiste en couverture, mais disons que sa dégaine ne m'a pas laissé indifférente. J'ai donc ramassé le numéro de juin 1999 de La Scena Musicale, l'ai feuilleté avec attention. Peu après, j'enverrais mon curriculum vitae, avec un exemplaire de La Muse affiliée sans doute (je n'en ai aucun souvenir). Une première commande d'article est tombée, sur la pianiste Mitsuko Uchida qui donnait cet été-là un concert au Festival de Lanaudière. Mes premières entrevues seraient complétées à l'automne, avec la soprano Karina Gauvin et le pianiste Marc-André Hamelin. Premières d'une longue série - qui  me mèneraient suite à quelques autres bifurcations à couvrir la littérature québécoise et le théâtre.

Si, depuis 1998, j'ai bien sûr suivi avec intérêt la carrière de Dmitri Hvorostovsky, je ne l'avais jamais entendu en concert. J'étais donc plutôt fébrile à la pensée de découvrir le « lion de l'opéra » dans un récital intime, donné avec son partenaire de longue date Ivari Ilja à la Maison symphonique de Montréal vendredi. Première réaction, épidermique: ciel qu'il est (encore) beau (affirme celle qui avait bien failli s'évanouir quand Ivo Pogorelich lui avait fait un clin d’œil, l'année de sa victoire au Concours international de Montréal)! Cela n'a pris que quelques secondes pour que je sois conquise, parce que la voix est encore magnifique, que sa présence suave se prêtait bien aux circonstances, parce que je découvrais du nouveau répertoire (presque entièrement russe) et que son pianiste est l'un des chambristes les plus brillants que j'aie eu l'occasion d'entendre. Ivari Ilja possède en effet une rare maîtrise de la palette sonore, un raffinement exquis dans le phrasé, une intelligence du texte et une virtuosité qui ne mise jamais sur l'esbroufe (même si certaines des mélodies données hier auraient donné du fil à retordre à nombre de pianistes). Je connaissais les mélodies de Liszt (reprises dans ses Années de pèlerinage pour piano seul) et de Rachmaninov (j'ai écrit des notes de programme pour un album Analekta il y a quelques années), avais entendu quelques pages de Tchaïkovski, mais ai découvert avec un immense plaisir celles de Medtner, compositeur trop peu joué. 

Elles m'ont rappelé indirectement l'été de mes 16 ans, passé en partie au Centre d'arts Orford, alors que j'avais travaillé avec André-Sébastien Savoie de ses Contes de fées. Ce serait précisément cet été-là que j'ai réalisé que je pourrais pas vivre sans la musique...  

Chez la reine

« N’avais-je pas mythifié et magnifié une enfance identique à des milliers d’autres et soumise aux mêmes contingences? Peut-être. Mais le bonheur que j’avais ressenti dans ma jeunesse et l’amour que j’avais eu et que j’aurais toujours pour mon grand-père et les miens demeuraient l’objet principal de chaque tableau, conservé, peaufiné ou mis à l’écart, et donnaient à eux seuls sa valeur à la fresque. »

Voilà en quels termes Alexandre Mc Cabe clarifie sa démarche d’écriture en page 121. Cet amour qu’il porte aux siens est de fait l’épine dorsale de ce premier livre, entre récit et autofiction, volonté d’extraire du passé les gestes qui permettront de mieux apprivoiser l’avenir. Car il ne faut pas se le cacher : sous ses dehors tendres, ces images filtrées avec grande douceur, l’auteur signe ici un livre politique, un acte de résistance.

Oscillant entre une langue recherchée (mais jamais ampoulée) et une langue parlée, à décrypter à l’oreille – on se surprendra à lire à voix haute certains des dialogues pour profiter de leur résonnance –, ce texte fort peut se lire comme un manifeste. Une exhortation d’abord à se souvenir : de ceux qui nous ont façonnés, sur lesquels nous nous sommes appuyés pour grandir, mais aussi des gestes politiques qu’ils ont posés, des doutes qui les ont animés, des convictions qui les ont portés et que le Québec d’aujourd’hui, plus morose que vibrant, a choisi de balayer du revers de la main. Façon autre de prendre la parole – à défaut de prendre la rue –, Chez la reine devient porte-étendard d’une génération de trentenaires engagés (tout comme la BD théâtrale Le nombril du monstre de Félix Beaulieu-Duchesneau, qui faisait partie de la plus récente édition du Festival du Jamais lu, qui aborde un thème semblable), qui ne tournent pas le dos aux valeurs passées (plusieurs privilégieront d’ailleurs la famille, signe indéniable qu’ils envisagent un futur moins désemparant), mais souhaitent les décliner autrement, en posant des gestes concrets, qui finiront peut-être par orienter autrement ce peuple qui se cherche toujours. « Alors on finit par se taire, mais on n’a pas encore commencé  parler. […] Mais nos silences sont des clous de plus dans le cercueil du pays. »

samedi 17 mai 2014

Le rêve de Grégoire: parcours onirique initiatique

Photo: Yves Dubé
Le rêve de Grégoire demeure un curieux objet qui pourrait bien plaire plus aux amateurs de théâtre qu’aux mélomanes. Les premiers reconnaîtront indéniablement la touche René-Daniel Dubois (qui signe la mise en scène) et sauront apprécier l’utilisation adroite des projections sur deux panneaux mobiles à l’arrière-scène, le plus souvent placés à angle, les éclairages tout en volumes de Guy Simard et les costumes qui semblent sortis d’une production d’Alice aux pays des merveilles, signés Marianne Thériault.
Librement inspiré du personnage de La métamorphose de Kafka (auquel le postlude fait d’ailleurs référence, le prologue quant à lui ne pouvant qu’évoquer Le procès, l’opéra s’amorçant sur une arrestation dont le principal intéressé ignore les causes), le Grégoire imaginé par Pierre Michaud (qui signe musique et livret) tentera de comprendre, à travers un parcours initiatique en trois rêves, comment canaliser en gestes sa révolte. On reviendra sur son enfance (et une certaine notion de l’enseignement), ce qui pourrait être son adolescence (un voyage en montagnes russes), avant de retrouver un présent malheureusement à peine caricatural, dans lequel des mots comme beauté, culture et éducation sont mis à l’index. Cela donne droit à une scène grinçante à souhait, l’un des moments forts de l’opéra.
Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir.

vendredi 16 mai 2014

Vrais mondes: chacun son histoire

Peut-on encore renouveler la proposition scénique et développer une nouvelle forme? Il semble que le duo Émile Proulx-Cloutier et Anaïs Barbeau-Lavalette y soit parvenu avecVrais mondes, sept documentaires scéniques captivants.
Pas de reconstitution ici comme dans le théâtre documentaire ni de réel jeu de la part des «sujets». La mise en scène minimaliste mais efficace d’Émile Proulx-Cloutier propose plutôt de les retrouver au milieu d’objets les représentant (des horloges, passion de Denis, un homme de 50 ans coincé dans un corps d’adolescent de 14 ans, ou un appareil-photo et un sac à dos pour Olivier, ancien tireur d’élite maintenant chasseur d’images), pendant que nous les découvrons à travers une bande-son qui extrait en sept ou huit minutes l’essentiel des entrevues qu’ils ont accordées à Anaïs Barbeau-Lavalette. Celle-ci accompagne d’ailleurs les participants au début de chaque tableau – réconfortant par exemple par le geste Jean-Guy devenu Jane à 60 ans, qui reste Papy pour ses petits-enfants – et demeure ensuite en retrait, présence rassurante, rappel également du partage qui a été consenti.
Pour lire le reste de ma critique, passez chez Jeu...
Vous avez jusqu'à demain pour voir le spectacle à la Cinquième Salle

jeudi 15 mai 2014

Question d'identité

« La littérature québécoise est à mon avis encore à l’état de projet. C’est une littérature qui continue de se faire parce qu’elle n’a pas encore donné ses plus beaux fruits. C’est une littérature qui menace de se défaire à tout moment, parce que rien n’assure sa pérennité. Il faut donc la lire, l’enseigner, la relire, la réfléchir. Sans relâche. Il faut célébrer ses plus grands écrivains, nous édifier par leurs œuvres. Il faut aussi y ajouter. La mener plus loin. Il faut la rendre, une fois pour toutes, absolument indispensable. »

Voilà la place qu’occupe la littérature québécoise dans la vie de lecteur de notre Recrue ce mois-ci, Alexandre Mc Cabe, auteur de Chez la reine, professeur de littérature à St-Augustin-de-Desmaures. En signant ce premier opus, il interpelle son lecteur, presque de façon subversive. On pense d’abord lire un hommage touchant d’un petit-fils à son grand-père, mais au fil des pages, on se rend compte que l’auteur a usé d’un subterfuge pour nous mener à une réflexion autre, que l’histoire que l’on croyait personnelle, intime presque, a de fait une portée beaucoup plus grande.

La question de l’identité se décline aussi, à d’autres niveaux, dans Saut-au-Galant d’Isabelle Grégoire, La corbeille d’Alice de Maude Deschênes-Pradet, L’incédé, premier recueil de poésie de Sarah Bernier et Peut-être jamais, deuxième roman d’une ancienne recrue, Maxime Collins.

À première vue, Saut-au-Galant ressemble à des tas d’autres petits villages québécois banals, en apparence tranquilles – comme l’est Sainte-Beatrix de Chez la reine d’ailleurs –, mais sous la surface, la réalité est autre… parce que les « pure laine » côtoient des immigrants colombiens, qu’un petit garçon de dix ans disparaît, que les secrets finissent par ronger les deux clans. Au début de La corbeille d’Alice, la narratrice rentre du Sénégal. Elle y a connu assurément un choc culturel, mais surtout le grand amour, qui s’est terminé dans les déchirements. Peut-elle apprendre à se redéfinir? Il a été lu avec intérêt par notre nouveau collaborateur, Antoine Houlou-Garcia, installé à Paris, à qui je souhaite la plus chaleureuse des bienvenues.
Peut-être jamais pourrait se décliner non pas tant comme un roman d’apprentissage qu’un roman d’émancipation, le héros finissant au fil des ans par se libérer du fantôme de son amoureux. L'incédé quant à lui « déroule l'aventure de cette part indiscernable de soi où l'on invente et renouvelle les formes de notre existence », explique elle-même la poète. Dans un autre registre, tout en légèreté, la bande dessinée de Bach, C’est pas facile d’être une fille, décortique certains des – si  – petits travers de la femme moderne et la façon dont elle interagit avec son entourage.

« Ce n’est pas tout d’écrire. Ce n’est pas tout de raconter de belles histoires. Ce n’est pas tout de parler de soi. Il faut savoir se situer. Se placer là où on doit être. Au péril de la littérature, s’il le faut », nous rappelle Mc Cabe. Heureusement qu’il y a les livres!

Pour lire le numéro courant de La Recrue, c'est par ici...


mardi 13 mai 2014

Que feras-tu avec...

Je me suis reconnue dans ce passage de Chez la reine d'Alexandre Mc Cabe, notre recrue de mai (numéro en ligne dans deux jours)... La littérature et la musique sont souvent proches parentes.
« Ousque té rendu, là? » Pierre avait un léger hoquet en terminant sa deuxième bière. « J’étudie en littérature à l’université. »  « Oh… qu’est ce’ tu vas faire ‘ec ça? » Je ne m’offusquais pas de ce commentaire que j’entendais souvent et qui avait fini par ne plus me heurter. J’y voyais une inquiétude bienveillante plus qu’un manque de considération pour mon choix d’études. À cette époque, j’étais moi-même encore incertain de la voie que j’avais empruntée. Rien ne m’avait destiné aux lettres sinon peut-être ma sensibilité romantique qu’au sortir de l’adolescence j’avais reconnue chez quelques poètes dont les vers m’avaient plu. Ma curiosité littéraire s’était longtemps bornée à ma mièvrerie. J’avais cherché dans leurs recueils l’amour idéalisé dont je me réclamais. […] La question de Pierre me faisait toutefois craindre la métamorphose subreptice qui semblait s’opérer depuis le début de ma formation. À mes retours à Sainte-Béatrix, je sentais combien la littérature avait creusé un fossé entre les miens et moi. Incapable de condescendance, je ne voyais aucune supériorité dans ma nouvelle condition, mais plutôt ue différence qu’il me fallait désormais assumer. […] Les livres m’arrachaient lentement à la vie que j’avais connue et à ceux qui m’avaient tant donné depuis l’enfance. Puis, comme dans les limbes, entre une vie aimée à délaisser et une vie neuve à conquérir, je cherchais encore à tâtons les assises sur lesquelles me rebâtir. (p. 96-98)

lundi 12 mai 2014

11 révélations...

Marion est charmante (je l'ai rencontrée dans la maison d'Austin!) et m'a gentiment octroyé un Liebster Award, histoire d'en savoir un peu plus sur moi sans doute. 11 révélations donc (la plupart par deux comme vous pourrez le constater) et je répondrai aux mêmes questions qu'elle.

1- Oui, je mesure 1 m 75 (certains diront plus à cause de mes cheveux, mais bon...), mais non, je n'ai jamais joué au basket - ni jamais ressenti aucune envie de le faire. Selon les années, j'ai beaucoup joué au handball, au badminton, au soccer (sport idéal pour les mains de pianiste, contrairement au volleyball, qui me plaisait bien pourtant).

2- Ma mère, qui est minuscule (je l'ai dépassée, j'avais 9 ans), me présente encore à ses amis comme « ma p'tite ». Hum...

3- J'écoute de tout, mais déteste la musique nouvel âge. L'enveloppement aux algues avec un remix du Canon de Pachelbel avec chants de baleines intégrées, très peu pour moi. (Ceci explique sans doute pourquoi je ne fréquente pas les spas.)

4- Je n'ai pas écouté de musique pop avant d'avoir 12 ans. Eh oui, incroyable mais vrai, j'ai été élevée exclusivement dans la musique classique. Quand j'ai découvert, avec passablement de retard, les Beatles (le groupe était déjà bien sûr dissolu), ce fut une révélation.

5- Tout le monde se meurt de faire un voyage en Asie, mais pas moi. Vous m'offrez six mois à Perth ou Ouagadougou ou deux semaines en Chine ou en Japon, je choisis indéniablement les premières options.

6- J'ai par contre traversé presque tout le Canada en voiture, enfant. Il me reste à découvrir le Yukon et les territoires, ainsi que Terre-Neuve, qui a l'air absolument magnifique.

7- J'ai appris à lire dans un dictionnaire, Mon premier Larousse, dont les pages avaient l'air de ça. (Je ne l'ai malheureusement pas gardé.) Ma mère semble-t-il s'est lassée de me faire la lecture des boîtes de conserve et autres mots qui croisaient quotidiennement ma route. Je savais lire avant de rentrer en première année.

 8- Mon père est celui qui m'amenait à la bibliothèque toutes les semaines. Quand j'ai eu écumé celle des enfants (vers 8 ans), il m'a permis de le suivre du côté des adultes, mais « surveillait » alors mes lectures. J'ai ainsi lu les Arsène Lupin, Sherlock Holmes et de multiples Agatha Christie.

9- J'aime le beurre d'arachides, mais pas mélangé à des trucs sucrés (biscuits, crème glacée, friandises chocolatées...). J'aime bien par contre satays et raviolis sauce aux arachides. Ma première histoire publiée - dans le journal de l'école primaire - s'appelait d'ailleurs... Du beurre d'arachides sur Mars.

10- Je suis toujours incapable de manger des abats. Ma mère m'avait assise devant une assiette de foie de veau un midi, avec l'interdiction de me lever de table avant d'avoir terminé. Elle a fini par abdiquer deux heures après que tout le monde eut terminé de manger.

11 - Je n'ai lu qu'un seul tome de La Recherche, Du côté de chez Swann, dans le cadre d'un cours « Cinéma et littérature ». J'ai par contre lu des nouvelles de Proust, quelques poèmes. Un jour peut-être... mais il y a tant d'autres livres, n'est-ce pas?

Alors, maintenant, les questions que me refilent Marion...


1. Ton cadre préféré (géographique et historique) en littérature?
Je n'ai pas d'époque ou de lieu chouchou. De fait, je lis très peu de romans historiques.

2. Un thème qui t'émeut à coup sûr (dans les livres ou au cinéma)?
La maltraitance.

3. Dans ta bibliothèque, de quelle couleur sont la majorité des ouvrages?
Un peu plus de couvertures blanches peut-être, mais il y a vraiment des tranches de toutes sortes de couleurs (et mes numéros de la revue Jeu ajoutent assurément une touche de gaieté à l'étagère théâtre).

4. Toujours dans ta bibliothèque, quel est le livre que tu possèdes depuis le plus longtemps?
Contes des pays de neige d'Adrienne Ségur. 


5. Tu aimes lire en croquant dans..../en picorant des.../ en sirotant...
Je sirote parfois un thé ou une autre boisson, mais ne mange pas en lisant un livre, par peur de le tacher.

6. Pour bouquiner, plutôt balancelle dans le parc ou transat au bord de la piscine?
Les deux idées me plaisent.

7. T'arrive-t-il de lire dans le bain?
Jamais. Si je prends un bain, c'est que je suis malade ou alors j'y écouterai plutôt de la musique.

8. Ton marque-page préféré?
Je n'ai pas d'attachement sentimental à un marque-pages en particulier, mais ai un pot de marque-pages, dans lequel je pioche au gré des envies. Parfois, un billet de spectacle fait tout aussi bien l'affaire.
9. Une photo de la librairie de tes rêves.
J'étais dévastée quand j'ai appris que La Hune avait fermé à Paris. J'adorais cet endroit. À Montréal, je bouquine chez Olivieri, que j'adore.


10. Parmi les héros-héroïnes de séries télé/ films qui écrivent, qui préfères-tu?
Christian (Ewan McGregor) dans Moulin Rouge peut-être ou sinon, dans un autre registre, Jessica Fletcher (Angela Lansbury) dans Murder, She Wrote.

11. Ecrire un livre? Oui mais....
Oui. Pas de mais.

samedi 10 mai 2014

La fête sauvage

Le Festival du Jamais lu s'est terminé de brillante façon hier soir avec cette Fête sauvage, proposition de la codirectrice Véronique Côté (elle explique le concept ici). Sept auteurs ont offert des textes de chansons qui ont été mis en musique avec brio par Benoit Landry, soutenu par Chloé Lacasse, Jean-Alexandre Beaudoin et Vincent Carré. Ils ont aussi offert des textes de transition, certains poétiques, d'autres humoristiques, mais tous possédant une forte charge identitaire. Le texte que l'on aurait pu surnommer Indépendance pour les frileux de Joëlle Bond et l'histoire de la Fille du Roy de Sarah Berthiaume ont ainsi fait crouler la salle de rire à plusieurs reprises, alors que les duos de Steve Gagnon et Véronique Côté adoptaient un tout autre registre.

Oui, c'était férocement à gauche. Oui, cela relevait assurément du rêve éveillé quand on considère le résultat des dernières élections provinciales, mais comme le dit Sylvain Tesson dans Six mois en Sibérie« Il faut rêver pour se surprendre. » Une chose est certaine: tous sont sortis de la salle avec le mot espoir tatoué sur le cœur. Les trentenaires pourraient bien réussir là où leurs aînés ont échoué.

2 Pianos 4 Hands: applaudissements mérités

Créé il y a 20 ans, présenté 4000 fois aussi bien au Canada qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, en Australie et en Afrique du Sud, 2 Pianos 4 Hands du duo Ted Dykstra et Richard Greenblatt (qui signe ici une mise en scène réussie) demeure un spectacle particulièrement jouissif. En effet, même si elle se veut largement autobiographique, la pièce possède cette universalité qui saura toucher quiconque a reçu, que ce soit deux ou dix ans, des leçons de musique, mais aussi tous ceux qui ont souhaité se dépasser à travers la pratique d’une activité parascolaire, qu’elle soit artistique ou sportive.


Il faut bien admettre que l’enseignement de la musique classique n’a malheureusement pas évolué tant que cela au cours du dernier siècle. L’apprenti musicien doit apprendre à tisser une relation de confiance avec le pédagogue – ce qui n’est pas donné, ni d’un côté ni de l’autre –, mais surtout accepter que seules de longues heures passées à l’instrument, en solitaire, à répéter inlassablement des passages difficiles et à dompter ses doigts de façon mécanique. Au fil des ans, il finira non pas par devenir excellent, mais par dépasser le stade d’une certaine médiocrité et peut-être, un jour devenir « le meilleur du quartier » comme le découvrent plus ou moins à leurs dépens les deux protagonistes. 


Jusqu'au 25 mai au Centaur Theatre.

vendredi 9 mai 2014

Le nombril du monstre: accouchement naturel

Le Festival du jamais lu donne souvent l’impression de faire partie d’une réunion familiale tant l’atmosphère s’y veut conviviale. C’était particulièrement évident hier soir, lors de la lecture de la bande dessinée théâtrale autobiographique Le nombril du monstre, qui ose aborder un sujet boudé par nombre d’auteurs: la volonté assumée de paternité.
Des essais multiples des deux tourtereaux pour concevoir au désopilant épilogue dans laquelle Simone, neuf ans, souhaite convaincre son père de lui permettre d’assister à la représentation (on aurait d’ailleurs aimé savoir si elle avait vraiment gagné là-dessus), on passe par une large palette d’émotions, du fou rire aux larmes (la naissance elle-même, narrée uniquement en images qui se colorent au fur et à mesure sur fond de musique de Sigur Rós reste un moment puissant, comme les funérailles du grand-père Roger), avec le naturel de la vie qui bat, qui se bat.
Comme tous les futurs parents, Félix (Beaulieu-Duchesneau lui-même) a des doutes. Incapable de se confier à ses proches ou à sa famille, il le fait à son calepin d’esquisses (les planches sont projetées sur l’écran) et à la statue de Félix Leclerc, en l’honneur de qui il a été prénommé.
Le Jamais lu se termine ce soir (déjà!) par une Fête sauvage. J'y serai... Et vous?

jeudi 8 mai 2014

Dans les forêts de Sibérie: la pureté de l'ermitage

Photo: Anne-Flore Rochambeau
Certaines choses se vivent mieux seul : la découverte d’un recueil de poésie, l’écoute d’une pièce de musique, la contemplation de la nature. Dans les forêts de Sibérie est l’un de ces objets hybrides, aux confins de la danse, du théâtre corporel et de la méditation, que l’on voudrait garder pour soi. Extrêmement difficile de reprendre pied dans le brouhaha d’une métropole après ces 50 minutes passées assis sur une bûche, dans un local de répétition lumineux, alors que l’on ressent une émotion qui relève aussi bien de l’apaisement que du bouleversement.

Peut-on vivre à la fois en société et en marge de celle-ci? Jusqu’à quel point peut-on –  doit-on – vivre pour les autres? De quoi a-t-on réellement besoin? Autant de questions soulevées dans ce récit publié en 2011, lauréat du Médicis Essai, qui raconte les six mois d’ermitage que Sylvain Tesson a passés dans une cabane au bord du lac Baïkal. « J’ai appris à m’assoir devant une fenêtre. » C’est d’ailleurs dans ce qui en tient lieu, au milieu de 16 cordes de bois, que des extraits du texte sont projetés, auxquels Éric Robidoux réagit en gestes, pas tant illustration du propos que complément. 

Pour lire le reste de ma critique, passez chez Jeu...

mercredi 7 mai 2014

Fendre les lacs

Huit personnages vivent dans des cabanes autour d’un lac. Huit êtres qui ne savent pas toujours comment s’émanciper d’un passé douloureux. Emma pleure le décès de son mari, découvert dans les bois par Adèle, la gardienne du lac, comme Léon son père, que ce soit en semant toutes sortes de graines de fruits sur sa tombe ou en s’asphyxiant volontairement, peut-être pour mieux comprendre la fine frontière entre la vie et la mort. Martin fuit un passé douloureux, qu’il a pourtant choisi de confronter en revenant sur les bords de ce lac presque hanté. Christian, fils d’Adèle, est tiraillé entre son amour pour Élie, la femme matelot, et le pacte qu’il a fait avec un homosexuel à l’agonie (que l’on ne verra jamais). Louise, qui s’occupe des oies, est folle de Thomas, qui veut devenir loup. Huit écorchés. Huit êtres qui ont perdu leurs repères. «J’ai reconnu sa fragilité; j’ai déjà vu la même», souligne d’ailleurs Martin alors qu’il s’installe chez Emma, histoire de la protéger d’elle-même, mais aussi de fuir ses blessures.

Pour lire le reste de ma critique...

Le Festival du Jamais lu se poursuit jusqu'au 9 mai.

mardi 6 mai 2014

Top Girls: une autocritique féministe

Écrite en 1982, dans l’Angleterre thatchérienne, Top Girls de Caryl Churchill peut donner l’impression d’avoir pris quelques rides et pourtant. Lors d’une scène onirique mémorable, Marlene célèbre sa promotion avec d’autres femmes fortes du passé: la papesse Jeanne qui aurait gouverné l’église catholique de 854 à 856 déguisée en homme, l’exploratrice Isabelle Bird, Dulle Griet, personnage de la toile de Breughel et Lady Nijo, maîtresse d’un empereur japonais devenue religieuse et Griselda, la patiente épouse que l’on retrouve dans les Contes de Canterbury de Chaucer. Après quelques verres de vin, ces femmes échangent à bâtons rompus, chacune coupant la parole de l’autre dans un contrepoint qu’il n’est pas toujours facile de suivre, évoquant les sacrifices qu’elles ont dû faire pour en arriver là.
Après une transition musicale nous replongeant dans les années 1980, la deuxième scène nous ramène dans la réalité, Marlene échangeant avec une collègue de l’agence de placement Top Girls. L’immense baie vitrée qui orne le mur arrière peut aussi se lire comme une métaphore du fameux plafond de verre (notion certes toujours d’actualité).
Vous pouvez lire le reste de ma critique sur le site de Jeu...
Jusqu'au 18 mai au Centre Segal

lundi 5 mai 2014

Be somebody else

L'ombre du mur de Berlin plane sur le travail chorégraphique d'Isabel Mohn, pas tant la notion du mur lui-même, de ses graffitis qui tentaient en vain de le camoufler, que ce qu'elle implique. Mur que l'on érige autour de soi pour se protéger, mais surtout, curiosité de connaître celui qui vit de l'autre côté, son quotidien, son vécu, ses rêves. Au fond, la seule façon de connaître l'autre n'est-elle pas d'essayer de décrypter son imaginaire?

Les quatre interprètes sont ici dans l'échange: on se dévêt d'une veste pour revêtir le chandail d'une autre, on partage des points de vue sur des histoires tragiques (le décès d'une mariée dans les chutes de Rawdon et d'une vieille femme en terrasse se faisant happer par un taxi ayant perdu le contrôle), on change de partenaires (astucieuse utilisation des planches de contreplaqué qui servent d'accessoires, au milieu d'autres matériaux de construction).

Il y a de beaux moments dans ce spectacle et Isabel Mohn démontre une grande maîtrise du langage chorégraphique. Pourtant, la magie n'a pas entièrement opéré pour moi et je pense que cela vient en grande partie du fait que le spectacle soit présenté à l'italienne, que le quatrième mur ne soit jamais franchi, que le spectateur ne sente jamais qu'il est l'un de ces personnages cherchant à rejoindre l'autre. Il regarde le tout de loin (de l'autre côté du mur) plutôt que de le vivre de l'intérieur. En plaçant le spectateur en retrait, celui-ci s'attend à se faire raconter une histoire, cherche le fil narratif, de façon consciente ou non. Je pense pourtant que la chorégraphe souhaitait plutôt transmettre un appel à l'action, que chacun décide d'aller à la rencontre de l'autre et de mieux se comprendre à travers cet échange.


Du 8 au 10 mai au Théâtre Prospero

dimanche 4 mai 2014

Éloge de la lecture

« La vertu paradoxale de la lecture est de nous abstraire du monde pour lui trouver un sens. » (Daniel Pennac, Comme un roman)

Lire. Geste solitaire, peut-être, mais en rien égoïste, car la lecture n’est pas fuite, mais d’abord rencontre : avec un auteur, avec un univers, avec soi-même. En effet, si certains romans ne nous procurent qu’un moment de divertissement, d’autres nous aident à trouver des réponses à certaines questions qui nous habitent.

Un livre entre les mains, on ne se sent jamais seul. Il demeurera toujours cet objet magique, qui nous fait voyager, à travers le temps, l’espace, dans un ailleurs. Il nous révèle des univers parallèles, fruits de l’imagination d’un autre; ce faisant, il réussit à nous faire oublier l’isolement. L’écrivain devient alors notre hôte, comme s’il nous accueillait dans sa chambre d’amis, pour une heure, une soirée, une semaine, un mois.

Un livre peut aussi se transformer en véritable histoire d’amour. Chacun élabore comme il l’entend sa liste de préférés, ces titres auxquels on revient, qui continuent d’émouvoir. Est-ce parce que ceux-ci nous ressemblent ou, au contraire, nous permettent de nous définir autrement, comme si nous contemplions notre reflet entre les lignes?

Alors que nous sommes bombardés au quotidien d’images, que l’on tente de nous faire adopter un mode de pensée, plonger dans un roman nous offre une liberté totale. Personne ne peut nous imposer un visage, faire écran entre nous et un personnage, forcer notre rythme, parasiter notre imaginaire.


vendredi 2 mai 2014

Tragédie: explosif

Rarement pourra-t-on assister à un spectacle à la montée dramatique aussi parfaitement calibrée que cette Tragédie d'Olivier Dubois, long poème chorégraphique qui détourne d'ailleurs certains des outils et motifs associés au langage poétique: vers scandés (douze pas comme les pieds des alexandrins), prose poétique, retour de motifs, assonances, allitérations... Portée par la trame sonore hypnotique de François Caffenne, elle aussi minutieusement dosée (qui fait presque sauter les tympans dans les dix dernières minutes, ceux-ci ayant atteint leur niveau de saturation), la chorégraphie d'Olivier Dubois peut se lire à de multiples niveaux, mais nous rappelle surtout que naître homme n'est pas synonyme d'humanité. Combien de gestes banalisés doit-on transcender avant de pouvoir s'élever au-dessus de la morosité et atteindre une certaine élévation, qu'elle soit physique ou spirituelle?

Le premier segment semblera peut-être long à certains et pourtant. Cette marche implacable des 18 danseurs, qui semble vouloir gommer toute différence, est essentielle pour comprendre ce qui suivra. Armés de leur nudité (qui n'a absolument rien de gratuite ici, puisqu'elle demeure la seule façon de pouvoir transmettre à la fois l'unicité de chacun et l'impression que tous font partie d'un tout), ils avancent, par deux, par groupes, par sexe. On suit la cadence de la percussion - glas funèbre ou tambour de guerre -, on avance, sans se poser de questions. Pas encore. Pourtant, chacun est unique, oeuvre d'art à part entière. Aucune importance qu'un corps puisse avoir inspiré Rubens plutôt que Giacometti, Doig plutôt que Picasso. La beauté est là, intrinsèque, mais qui saute aux yeux de ceux qui oseront regarder autrement. Et puis, grains de sable dans l'engrenage: les mouvements s'arrêtent, se disloquent, pour mener à des moments plus organiques, aux images fortes, souvent travaillées en aplats. (Certains segments rappellent par exemple certaines scènes que l'on pourrait retrouver sur des vases grecs.)

La tension monte d'un cran encore, comme si les corps devenaient des électrons qui se bousculent, qui s'attirent pour mieux se repousser, jusqu'à ce qu'ils s'unissent dans une masse qui rappelle certains projets de Spencer Tunick, parfaitement nimbée par les éclairages magnifiques en tout point de Patrick Riou. La marche du début revient encore, dotée d'une force décuplée, porteuse alors d'un autre sens, avant que les danseurs n'exultent, dans un immense rave, libération plutôt qu'union des corps (qui ne se toucheront presque jamais), exaltation commune plutôt que petites morts parallèles.

Un spectacle phare, qui clôt de façon spectaculaire une très belle saison de Danse danse. Ceux qui voudront soutenir plus avant les efforts déployés par l'organisation, à travers leurs projets Carte blanche (visant à soutenir des chorégraphes dans la réalisation d’œuvres) et Amenez un jeune à la danse, se procureront dès maintenant un billet pour la soirée Mekanic. Cette soirée de création de mouvements avec Victor Quijada de RUBBERBABDance et les têtes créatives de Sid Lee se tiendra le 15 mai au 8, rue Queen. Tous les détails ici...

Aujourd'hui et demain, Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.
 
Teaser Tragedie from Tommy Pascal on Vimeo.