jeudi 19 juin 2014

Trop de lumière pour Samuel Gaska

« Donc, oui, j’accepte de t’écrire une petite composition, mais à condition que tu me laisses raconter l’histoire à ma façon. Au début, ça te semblera tout mélangé, mais fais-moi confiance, tu finiras par comprendre. »
Voilà en quels termes Samuel Gaska se justifie quand son ancienne amoureuse Catherine le contacte pour qu’il écrive la musique de scène de sa prochaine pièce. C’est sans doute aussi à cet instant précis, presque au milieu de cet étrange objet littéraire qualifié de récit, que l’on commence à saisir la démarche de l’auteur.
Même s’il est compositeur, le narrateur entretient une relation alambiquée avec la musique. Cette langue que l’on dit universelle, au fond, il ne l’a pas choisie. Son père, immigrant d’origine polonaise, lui a plus ou moins imposée. Pourra-t-il s’affranchir de cet héritage encombrant? Osera-t-il s’extraire de sa vie et enfin prendre son envol, comme cette oie à laquelle son nom fait référence – mais aussi tous ces oiseaux qui peuplent chacun des chapitres de ce livre? Finira-t-il par admettre que l’œuvre ne définit pas l’homme? 
« … un nom n’est jamais le nôtre, ni une œuvre, c’est plutôt nous qui leur appartenons et qui devons les incarner du mieux que nous le pouvons, le temps de leur donner corps et qu’ils nous délaissent. »
Étienne Beaulieu dispose assurément d’une plume exceptionnelle, que l’on voudrait par moments contraindre, tant elle semble se disperser, comme ces rayons de lumière qui traversent les vitraux. Le fil narratif se révélant fragile, on se demande parfois si l’auteur n’aurait pas dû adopter une autre forme pour transmettre ses réflexions sur la filiation, l’immigration et les liens que l’homme doit maintenir avec la nature. Un recueil de poésie – ou même d’aphorismes – n’aurait-il pas pu distiller plus efficacement l’essence du propos? La musicalité de la langue n’aurait-elle pas été mieux servie par une scission des éléments?

Comme plusieurs pages sérielles de Schoenberg, Trop de lumière pour Samuel Gaska se laisse difficilement apprivoiser. On croit en cerner le contour, pour constater que la musique nous échappe aussitôt. Pourtant, on se surprend à y repenser, à vouloir en extraire des clés de compréhension. La vie, la mort, la création, ne sont-elles pas au fond que fragmentations complémentaires d’un même concept insaisissable?

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