mardi 17 février 2015

L'horloger

Il est rare que, dès un premier ouvrage, on reconnaisse de façon aussi affirmée le timbre d’une nouvelle voix littéraire. Intimidés par les géants qui les ont précédés, les jeunes auteurs chercheront souvent à en faire trop, hésiteront à adopter une voie non balisée. Félix Villeneuve ne fait certainement pas partie de cette vaste majorité et signe avec L’horloger un livre singulier, entre recueil de nouvelles, contes pour adultes et roman fragmenté.
Dès le premier chapitre, « La princesse de béton », on ne peut qu’être troublé par sa palette, camaïeu de couleurs très foncées, et pourtant, le style se révèle si affirmé que l’on ne peut faire autrement que d’entériner la proposition. « Rien de cela ne perçait aujourd’hui sa coquille d’obsidienne, longuement construite au fil des mois et des années, chaque nouvelle éruption laissant une couche plus solide que la dernière, chaque nouvelle couche moins douloureuse que la précédente, jusqu’au moment où, enfin, le volcan lui-même s’était tu, son feu asphyxié. »
Dans « L’ami fidèle », Villeneuve y superpose les teintes plus translucides du souvenir, de l’enfance, même si le personnage n’en a plus que pour quelques heures à vivre. « Le Sombre », véritable morceau d’anthologie qui nous mène aux portes de l’épouvante et nous rappelle que les monstres peuvent eux aussi fléchir, s’est avéré le tournant, celui où j’ai accepté de suivre l’auteur, non pas les yeux fermés, mais plutôt bien ouverts, car si peu peuvent avec une telle élégance rendre crédible cette juxtaposition du rêve et de la réalité, du passé lointain et du présent, de la violence magnifiée et de la tendresse sublimée.
Au fil des « nouvelles », on finit par comprendre que toutes font partie d’un tout plus grand, qui demeurera à la première lecture non entièrement cerné. Villeneuve nous offre lui-même la clé : « Relis-le. Mais au lieu de chercher les morceaux d’une histoire, cherche l’histoire derrière les morceaux. » Et si, depuis le début, on avait adopté une posture incorrecte, parce que calquée sur les codes habituels? On replonge alors volontairement dans certains passages, relie les éléments différemment, conscient d’avoir été berné d’une certaine façon, mais surtout avec l’envie irrépressible de se faire raconter d’autres histoires par cette voix si particulière.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ça donne drôlement envie de le lire! Très beau billet!

Lucie a dit…

C'est un livre vraiment différent. Il faut accepter d'entrer dedans sans se poser de questions. Après, on se laisse facilement séduire.