vendredi 15 août 2008

Compter jusqu'à cent

Comment raconter la terreur, la dépossession, la douleur, les tentatives pour se rebâtir? Comment transcender l’horreur pure d’un viol, atténuer la cicatrice laissée sur le cœur? Dans Compter jusqu’à cent, Mélanie Gélinas trouve les mots pour le faire et de façon magistrale. Pour la narratrice – et peut-être bien pour l’auteure, elle aussi violée –, une seule porte de sortie : crier, chuchoter, écrire la douleur. « Dans la solitude d’une chambre où m’attendait patient le Lecteur, à un pas de l’amour, j’ai ouvert un cahier blanc comme l’hiver de mon seul pays, j’ai aiguisé ma langue pour inscrire la plus vive des traces et j’ai écrit. Je suis retournée à l’origine des maux et des peines, j’ai trouvé la veine d’Anaïs et j’ai investi la plus térébrante des lézardes, celle d’une cœur en cent morceaux. » (p. 136) À coup de chapitres courts, incisifs, fragments éclatés, elle parvient à reconstituer l’histoire de cette nuit glaciale qui a changé la vie de la narratrice et de son double, Anaïs.

L’écriture est ciselée, fortement poétique, les mots s’alignant souvent plus comme des strophes d’un long poème en vers libres que comme les phrases d’un chapitre. Rencontres ébauchées difficiles à assumer, amours suscitées trop douloureuses à consommer, rêves d’enfants déçus nous interpellent, nous portent, nous hantent. Les villes (New York, Montréal) ont rarement été aussi pleines de secrets, les mots si pleins de sous-entendus, la langue française si pleine de double-sens. On pourra reprocher, mais du bout des lèvres, quelques glissements de l’auteure qui, en bon professeur de français, cède parfois à la tentation de susciter la figure de style gratuite. Peu importe, une chose est certaine : on ne sortira pas indemne de la lecture du roman. Parfois, un roman soulève des questions (sur l’écriture, la violence, les relations) qui continuent de nous hanter bien après qu’on l’ait refermé et c’est tant mieux.

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