samedi 20 juin 2009

Vivre (de) la musique


Il y a quelques semaines, un ami du temps de l'Université m'a retracée grâce à ce blogue. (Non, je ne suis pas sur Facebook.) Après avoir échangé quelques nouvelles (un genre de concentré des dernières années en vitesse Grand V), il avance, l'air de rien: « Tu es l'une des seules personnes que je connaisse de notre promotion à être encore en musique. » Sur le coup, j'ai haussé les épaules. En y réfléchissant bien, je me suis dit que, en effet, le constat était assez saisissant pour qu'on s'y attarde.

Bien sûr, je connais des dizaines de musiciens professionnels; certains œuvrent sur des scènes internationales (généralement, ce sont les artistes que j'interviewe), d'autres à plus petite échelle: enseignement, accompagnement d'étudiants, direction de chorales amateures, pigistes... Mais, effectivement, à part ce copain (qui accompagne des classes de ballet et enseigne), je ne peux identifier qu'un seul autre instrumentiste ayant gradué cette année-là dont j'ai reconnu le nom sur des listes de musiciens d'orchestre à quelques reprises.

Est-ce à dire que l'université ne nous prépare pas adéquatement pour la « vraie vie » de musicien? Je pense qu'il y a une part de cela. Selon l'institution que vous fréquentez aujourd'hui, vous pourrez suivre des cours de pédagogie de l'instrument (assez essentiel, admettons-le), d'accompagnement (je sais, ce n'est pas tout le monde qui aime la collégialité de cette forme musicale), de gestion de carrière (on s'ouvre enfin à cette possibilité). Si le cours d'accompagnement est très souvent offert, il en va tout autrement des deux autres. Je l'avoue bien franchement: mes acquis dans ces domaines, je les ai appris sur le tas, tout comme les notions, selon moi essentielles, d'histoire de l'art, d'ouverture à la littérature, de connaissance (au moins minimale) du monde de la danse, du théâtre, du monde des arts visuels. Les artistes ne sont jamais entièrement isolés dans leur geste créateur.

Il faut bien l'admettre, l'école forme des interprètes surspécialistes, qui ont passé des heures dans des locaux de pratique, sans aucune notion de culture générale. Comment faire progresser un art musical sans s'alimenter à d'autres sources? Cela reste impossible à long terme, selon moi, ce qui explique quelques défections rencontrées. Il y a aussi bien sûr tous ces musiciens désabusés qui réalisent, un jour ou l'autre que, non, ils ne seraient pas le prochain Brendel. Pas toujours facile à gérer pour les egos souvent fragiles. Je me rappelle encore combien j'avais été abasourdie, quatre ou cinq ans après ma graduation, de rencontrer une ex-collègue pianiste, devenue... caissière chez IKEA! J'en ai encore des frissons.

À l'autre extrémité de l'arc-en-ciel, il y a les amateurs de plus ou moins haut niveau, qui n'en finissent jamais de m'étonner. Ceux qui, malgré une carrière en médecine, en droit, en finance, une famille nombreuse, continue de pratiquer de façon quotidienne, avec ferveur ou en dilettante selon les tempéraments. Parfois, ils grincent des dents devant une difficulté technique qu'ils ne savent plus repousser. Souvent, ils rognent sur leurs heures de sommeil pour inclure deux heures de travail quotidien, une fois les enfants couchés.

Hier soir, j'ai assisté à un concert-hommage, à la mémoire de Thérèse Gingras, pédagogue qui a formé des générations de pianistes pendant un demi-siècle. (Le cancer a malheureusement eu raison d'elle avant qu'elle ne puisse célébrer officiellement ces noces exceptionnelles.) J'ai entendu des pianistes de 8 à 50 ans, heureux de faire de la musique, tout simplement. Oui, il y a eu quelques accrocs, finalement assez anodins. Oui, les coeurs battaient la chamade avant de retrouver les planches après 25, 30, 35 ans. Mais il y avait une telle joie qui se lisait sur les visages après le concert! Je repense au visage fermé de certains musiciens d'orchestre trop souvent rencontré et je m'interroge sérieusement. Quelle part de notre vie la musique doit-elle occuper? Doit-on vraiment devoir choisir entre vivre de la musique (une rareté) ou vivre la musique? Je pencherais plutôt pour la seconde option... Et si, demain, ou lui faisait vraiment fête?

Aucun commentaire: