vendredi 13 novembre 2009

Un monde mort comme la lune


Lauréat du Prix Judith-Jasmin en 2006 pour ses reportages sur la guerre au Liban, Michel Jean nous avait ouvert son carnet de souvenirs l’année dernière dans Envoyé spécial. J’avais alors salué la cohésion et l’accessibilité du propos. Cette fois-ci, le journaliste fait le grand saut vers l’écriture de fiction et nous offre, avec Un monde mort comme la lune, un premier roman intégré à une trame historique, celle des derniers mois du président haïtien Jean-Bertrand Aristide, moment-charnière que Michel Jean connaît bien pour l’avoir vécu de l’intérieur. (Il en parle d’ailleurs dans Envoyé spécial.)

Jean-Nicholas Legendre, grand reporter pour la télévision québécoise, part pour Haïti pour y suivre la trace de narcotrafiquants et préciser la teneur des liens entretenus avec les gangs de rue montréalais. Au fil des jours et des rencontres, il découvre non seulement la vérité mais doit combattre les charmes troublants de Bia, une jeune prostituée qui se révèle liée à l’un des caïds de Cité-Soleil. Dans la première partie du roman, on suit pas à pas et avec un intérêt certain le travail du journaliste. Le style est précis, efficace, rapide. On tourne les pages avec une certaine fébrilité et un plaisir presque coupable, comme lorsqu’on dévore un polar bien ficelé.

Le reportage est bouclé, présenté à la télévision. Il soulève l’intérêt de certains, l’ire de plusieurs. C’est là que la vie de Jean-Nicholas Legendre bascule, comme le ton du roman, et qu’on aborde le registre très chargé de la vengeance. C’est là, aussi, que l’auteur m’a un peu larguée. Si j’avais été légèrement dérangée par les états d’âme du héros en première partie, tiraillé entre son amour – presque trop parfait – pour sa femme et son attirance pour Bia, je suis restée plus que perplexe face à cette histoire un peu trop rapidement bâclée de vengeance qui finit par se transformer en rédemption. J’aurais aimé mieux comprendre les motivations de l’homme ébranlé derrière le reporter, apprivoiser les déchirements ressentis face aux choix auxquels il se juge confronté, pouvoir plonger encore plus profondément dans sa psyché. Un choix aurait selon moi dû être ici assumé par l’auteur : soit laisser tomber l’indispensable réserve journalistique et nous mener dans des zones plus troubles ou soit opter pour une aventure de reporter classique, moins « émotive », qui aurait permis un même rythme, plutôt soutenu, du début à la fin du roman.

Malgré ces réserves et la difficulté parfois de dissocier l’auteur (Michel Jean, personnalité publique) du personnage (Jean-Nicholas Legendre, reporter, pourtant pas son alter ego), ce premier roman m’a paru plus achevé que bien d’autres essais du genre et je l’ai avalé en un après-midi. Par souci d’équité – et d’intégrité journalistique –, j’ai dû me poser la question suivante : si je n’avais pas connu la face publique de l’auteur, aurais-je été aussi exigeante? Je ne crois pas. Je lirai donc avec intérêt son prochain roman (qui rompra avec le monde journalistique, selon ses dires), qui nous permettra sans doute de mieux saisir la personnalité alors plus assumée du romancier.

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