dimanche 19 janvier 2014

Fleurs au fusil

Après avoir signé quatre recueils de poésie, Marjolaine Deschênes aborde pour la première fois le genre romanesque avec Fleurs de fusil, un opus foisonnant et inspiré. On y retrouve une réflexion particulièrement étoffée sur la littérature elle-même, qui s’attarde notamment sur quelques pièges posés par Rousseau, les débordements du romantisme (représenté ici par Novalis), le faux symbolisme de Rodenbach, les analyses de Paul Ricœur ou les visions de la féminité entretenues par Annie Ernaux, Catherine Mavrikakis et Nancy Huston. L’auteure y aborde de façon parallèle, avec une plume incisive qui ne laisse pas indifférent, les multiples visages de la filiation. Si la narratrice-romancière tente de s’inscrire dans une certaine pratique (et esthétique) littéraire, la femme elle, doit accepter de comprendre son arbre généalogique pour en transcender la violence. Cherchant à fuir depuis l’enfance l’emprise – et jusqu’au souvenir – d’un père dangereux, Viviane réussit néanmoins à redéfinir les termes de sa propre maternité à travers sa fille Amalè, fruit d’amours adolescentes inabouties. Il sera bien sûr question de résilience et de ces amitiés, parfois aux contours flous, qui nous permettent de continuer à avancer.
Fleurs au fusil aurait pu se révéler un livre lourd (par sa problématique, ses réflexions littéraires), difficile à cerner. Pourtant, il n’en est rien. Si l’on sent le travail de la poète derrière celui de la romancière (au niveau des assonances, allitérations, du choix de vocabulaire), on ne perd jamais la direction de l’arc narratif. Les mises en abime demeurent adroites, jamais forcées. (Viviane Videloup a écrit jusque-là cinq romans, dont quatre reprennent les titres des recueils de poésie de Marjolaine Deschênes et quelques chapitres affichent en citation d’en-tête des phrases de Viviane, vraisemblablement tirée des vers de Deschênes.) Cet objet fourmillant peut être décrypté à tant de niveaux (le choix des noms mériterait une dissertation entière) qu’il invite à la relecture. On referme le livre, encore aspiré par cet univers à la fois toxique et lumineux, avec l’envie de fréquenter à nouveau cette auteure, en prose ou en vers, très rapidement.

2 commentaires:

Marion a dit…

Mmmmm. Un livre à découvrir assurément et peut-être à lire parallèlement à cet autre à propos duquel je viens de lire un billet chez Gabrielle :
http://lavietranquille.com/?p=5616

Je prends bonne note des deux.

Merci Lucie !

Lucie a dit…

Oui, ce livre évoqué par Gabrielle me tente aussi...