mardi 30 avril 2013

Chinetoque

Marie-Christine Arbour possède une voix narrative bien particulière, une écriture qui détaille, effeuille, aussi acérée qu'un scalpel par moments, pourtant jamais dépourvue d'une certaine tendresse nostalgique. Elle retrouve dans Chinetoque le Vancouver de Drag, ainsi que cette impossibilité pour les personnages principaux d'accepter entièrement leur identité sexuelle et leur pouvoir créateur. Alors qu'un pianiste s'habillant en femme tombait amoureux d'une femme gommant toute trace de sa féminité dans Drag, les deux protagonistes de Chinetoque sont esquissés à traits moins tranchés. Certes, Alice, qui a aimé un disciple de Krishna ne possédant qu'une seule mèche de cheveux et portant le pagne dans sa jeunesse, finira par couper sa longue tresse blonde, empruntera à l'occasion les vêtements de son amoureux chinois Will, mais à travers cette relation, elle apprendra à accepter entièrement son corps, n'hésitant pas à se transformer en poupée orientale, à porter des talons aiguilles ou à se laisser maquiller les lèvres d'un rouge incendiaire.

Plus essentiel peut-être, on redécouvre ce rapport troublant que semble entretenir Arbour avec les mots, qu'elle transmet ici à son héroïne, elle aussi traductrice, qui préfère rêver à la fenêtre que de se révéler, de s'accepter à travers eux. Will compose des poèmes, qu'il traduit pour Alice, mais se sent incapable de partager ses vers avec la masse anonyme du lectorat. La relation avec la mère sert également de contrepoint, écho à son deuxième roman, le très sobre mais touchant Une mère, ainsi que les secrets du corps, ceux que l'on tait pour ne pas blesser, ceux qui nous hantent pendant des années. Si la musique joue un rôle moins vital que dans Drag, il faut néanmoins souligner combien Marie-Christine Arbour possède une plume habile quand vient le temps d'évoquer un mouvement de Chostakovitch ou l'acte même de composition. « – Mais bien sûr, pour moi, le silence n’existe pas. Le bruit n’est qu’une question d’organisation. Écrire de la musique, c’est faire des mathématiques avec de l’éther, a-t-il expliqué. » On sent chez elle une compréhension intime, presque viscérale du médium, peut-être parce qu'elle a déjà elle-même travaillé un instrument ou tout simplement parce que la musicalité est si intrinsèque à son souffle narratif. « Ils observent la stupéfiante montée de la nuit, laquelle prépare à la mort, ou à l’écriture. Voilà une trêve pour la mémoire. »


2 commentaires:

Topinambulle a dit…

Tu as une façon de nous parler de cette auteure qui donne très envie de la découvrir !

Lucie a dit…

Si tu aimes celui-ci (que tu as dans ta PAL il me semble), je te prêterai volontiers Drag. :)