mercredi 25 mars 2015

Seymour: an Introduction

Ethan Hawke délaisse les planches et le grand écran pour passer derrière la caméra avec Seymour: an Introduction, un portrait particulièrement sensible du pianiste, essayiste, compositeur et pédagogue Seymour Bernstein. Quand l'acteur rencontre le musicien dans une soirée, il se sent instantanément attiré par l'aura de calme que celui-ci dégage et, presque malgré lui, évoque ce trac grandissant qui le tourmente et ses questionnements par rapport aux finalités de sa vie. Bernstein aussi est passé par là quand, à 50 ans, malgré une carrière éblouissante saluée par nombre de critiques dithyrambiques, il décide de se consacrer à l'enseignement pour fuir le trac, mais aussi la commercialisation à outrance de la musique.

Comme son contemporain Menahem Pressler (qui lui, a toujours continué de se produire en concert en plus d'enseigner), auquel il me fait penser à plusieurs niveaux, Seymour Bernstein est un pianiste intègre, qui a réfléchi en profondeur autant à la mécanique de l'instrument (alors qu'il explique par exemple à un étudiant qu'il n'a pas besoin de relever entièrement la touche pour obtenir un son plein) qu'à l'essence même de la musique. Il n'a pas peur de parler du côté artisanal de la chose et des liens qui s'établissent chez tout musicien entre travail à l'instrument et sur soi. « Vous devez apprendre à écouter, aussi bien votre moi intérieur que les autres », résume de façon magistrale un de ses étudiants. 

Ethan Hawkes a choisi de présenter un portrait en kaléidoscope du maître. Il évoquera par exemple l'amour qu'il porte depuis toujours à la Sérénade de Schubert, l'année de rêve que lui a offert une riche mécène et la Guerre de Corée (les larmes lui viendront spontanément) et les concerts qu'il a donnés avec un violoniste sur le front, son besoin inhérent de solitude. On le retrouve aussi discutant avec d'anciens étudiants (la plupart devenus pianistes professionnels), en train d'enseigner chez lui ou en cours de maître. Toujours, une douceur certaine, une écoute totale, qui permet de cerner en quelques secondes le problème, de proposer aussitôt une solution concrète. Il parlera aussi de sa passion pour la composition, de l'immuabilité de la musique. « La musique ne change jamais. Quand Beethoven a mis un si bémol, il y est pour toujours », rappelle-t-il. 

Si on hoche souvent la tête en signe d'assentiment, Bernstein n'est jamais aussi éloquent que lorsqu'il laisse le piano parler à sa place. Il nous offre une véritable leçon de maître, qu'il joue Schoenberg, Beethoven, Brahms (magnifique Intermezzo opus 118 no 2, Schumann (quelle lecture du dernier mouvement de la Fantaisie!), ses propres compositions ou devienne l'orchestre dans le Deuxième de Rachmaninov.

L'arc narratif du film n'est pas sans failles. On déplorera par exemple les deux apex successifs qui laissent le spectateur vaguement confus et les inutiles superpositions d'images ethnomusicologiques sur le Brahms (l'universalité de la musique est acquise à ce moment du récit). De la même façon, l'échange de Bernstein avec le gourou spirituel m'a semblé moins pertinent (mais a sans doute permis à Hawke d'orienter sa réflexion personnelle). Ce sont des irritants somme toute mineurs. Saluons au passage le montage attentif d'Anna Gustavi, le travail sur le son  d'Hollie Bennett et Matthew Polis (qui ont par exemple choisi de ne pas gommer les bruits de la rue new-yorkaise alors que Bernstein se produit dans le cadre d'un récital intime à la demande d'Hawke) et la tendresse indéniable du réalisateur pour son si inspirant sujet. 

Le documentaire est présenté en première le jeudi 26 mars à 20h au Cinéma Excentris, à l'occasion des séances mensuelles Docville, organisées par les RIDM. Il prendra l'affiche en programmation régulière vendredi. Courez-y.

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